Le Peuple et le Roi
innocent ! » que la foule accueille le verdict qui « décharge
le cardinal de Rohan des plaintes et accusations ».
La comtesse de La Motte-Valois est elle condamnée à être
incarcérée et marquée au fer rouge, mais elle s’enfuira à Londres où elle
retrouvera le « magicien Cagliostro », mêlé à l’affaire.
À la Cour, dans les estaminets, les salons, parmi les grands
ou les poissardes, on se félicite du verdict, on fustige la reine, sur qui l’on
déverse des tombereaux de ragots et de calomnies.
Et par là même c’est toute la monarchie qui est atteinte.
On condamne l’impiété et la licence de ces « abbés et
évêques de cour », tel Rohan, même si on juge le cardinal victime de l’arbitraire.
Il a été libéré de la Bastille, mais démis de sa charge de
grand aumônier de la Cour et exilé dans son abbaye de La Chaise-Dieu.
On évoque les escroqueries, les spéculations organisées par
les Orléans afin d’accroître leur patrimoine immobilier au Palais-Royal.
On raconte que le duc de Chartres, fils du duc d’Orléans, organise
dans sa maison de Monceau des soirées libertines, des soupers en compagnie de
filles nues.
C’est une vague de réprobation, d’indignation, où se mêlent
vérité et calomnies, qui déferle après l’affaire du collier de la reine.
« Grande et heureuse affaire, commente-t-on. Un
cardinal escroc ! La reine impliquée dans une affaire de faux ! Que
de fange sur la crosse et le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de
liberté ! Quelle importance pour le Parlement ! »
La reine est accablée. Elle se sent outragée, « victime
des cabales et des injustices ».
Elle soupçonnait, depuis les premiers jours de son arrivée à
Versailles, qu’elle aurait de la peine à se faire accepter, aimer. Elle en est
désormais, et jusqu’au dégoût, persuadée.
« Un peuple est bien malheureux, dit-elle en pleurant, d’avoir
pour tribunal suprême un ramassis de gens qui ne consultent que leurs passions
et dont les uns sont susceptibles de corruption et les autres d’une audace qu’ils
ont toujours manifestée contre l’autorité et qu’ils viennent de faire éclater
contre ceux qui en sont revêtus. »
Elle essaie d’oublier, multiplie les fêtes, les bals, elle
répète le rôle de Rosine dans Le Barbier de Séville ,
qu’elle compte interpréter dans son théâtre. Et elle ne
prête pas attention au fait que Beaumarchais est l’un des adversaires de cette
autorité qu’elle incarne.
« Mais dans ce pays-ci, les victimes de l’autorité, ont
toujours l’opinion pour elles », assure la fille de Necker, qui vient d’épouser
le baron de Staël.
Au vrai, la situation est plus critique encore que ne le
révèlent l’acquittement du cardinal de Rohan, les rumeurs et les pamphlets qui
couvrent la reine – et donc la monarchie – d’opprobre.
Le 20 août 1786, Calonne est contraint d’annoncer au roi que
la banqueroute est aux portes, qu’il faut donc rembourser les dettes si l’on
veut l’éviter.
Le déficit se monte à cent millions de livres. Les emprunts
lancés par Calonne s’élèvent à six cent cinquante-trois millions, auxquels il
faut ajouter cinq cent quatre-vingt-dix-sept millions empruntés depuis 1776.
« Il faut avouer, Sire, dit Calonne, que la France ne
se soutient que par une espèce d’artifice. »
On ne peut, ajoute-t-il, « augmenter le fardeau des
impositions, il est même nécessaire de les diminuer », c’est-à-dire
établir l’égalité devant l’impôt, seul remède à la maladie des finances royales.
Il faut mettre fin aux privilèges fiscaux de la noblesse et
du clergé, et créer un impôt unique pesant sur la terre, la « subvention
territoriale », et rétablir la libre circulation des grains. Calonne ainsi
s’engage dans la voie qu’avaient tenté d’emprunter Turgot et Necker.
Et comme eux, il suggère qu’on s’appuie sur une Assemblée, qui
pourrait être une Assemblée de notables .
Louis XVI hésite. Mais le déficit serre le royaume à la gorge.
La mesure ultime serait de réunir les États généraux, signe
de la situation dramatique de la France. Louis XVI refuse de l’envisager. On n’a
pas vu d’États généraux depuis 1614 ! En dépit du déficit, la France est
riche. Il : ne s’agit que de la réformer et une Assemblée de notables
consultative doit suffire.
Au grand Conseil des requêtes du 29 décembre 1786, après
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