Le Peuple et le Roi
pays dans ces hivers
1783-1785.
Les fermages ont augmenté, parce que la monnaie a été en
fait dévaluée. Le pain est cher. Les pauvres sans domicile allument de grands
feux dans les rues de Paris, autour desquels ils se pressent.
Des émeutes de la faim éclatent ici et là.
Mais lorsque Louis, en juin 1786, se rend à Cherbourg pour
visiter la flotte royale, il est salué avec ferveur tout au long du voyage.
On s’agenouille devant lui, on l’embrasse.
« Je vois un bon roi et je ne désire plus rien en ce
monde », dit une femme.
Louis invite la foule qui se presse à avancer : « Laissez-les
s’approcher, dit-il, ce sont mes enfants. »
On crie « Vive le roi ! » et il répond « Vive
mon peuple ! Vive mon bon peuple ! ».
On récite des vers qui le louent, on les grave sur le socle
des statues.
Les uns s’adressent :
À Louis Homme
Ce faible monument aura faible existence
Tes bontés ô mon Roi dans ces temps de
rigueur
Bien mieux que sur l’airain ont mis au fond
du cœur
Un monument certain, c’est la reconnaissance.
D’autres vers rappellent que Louis, jeune roi, a déjà
accompli des « miracles » :
Louis de son domaine a banni l’esclavage
À l’Amérique, aux mers, il rend la liberté
Ses lois sont des bienfaits, ses projets
sont d’un sage
Et la gloire le montre à l’immortalité.
Louis est ému jusqu’aux larmes. Il écrit à Marie-Antoinette :
« L’amour de mon peuple a retenti jusqu’au fond de mon
cœur. Jugez si je ne suis pas le plus heureux roi du monde. »
Mais parfois, quand il découvre dans ses propres
appartements un pamphlet visant la reine, ce bonheur qu’il a ressenti devant
les signes d’affection que lui manifeste le peuple s’émiette.
On accuse Marie-Antoinette d’avoir renoué avec le comte
Fersen rentré d’Amérique avec les troupes françaises. On la soupçonne d’infidélité.
On se demande si les enfants dont elle a accouché – un second fils naîtra en
1785, et une fille en 1787 – sont issus du roi, ou de ce beau Fersen. Et elle a
obtenu du roi qu’il attribue à Fersen le commandement d’un régiment étranger, le
Royal Suédois, et le « bon » Louis XVI a aussitôt accepté, et accordé
à Fersen une pension de vingt mille li vres.
Louis cependant ne regrette ni ses largesses ni même ses complaisances.
Marie-Antoinette est la reine, la mère du dauphin.
II connaît les penchants de son épouse : fête, bijoux, châteaux.
Il les accepte.
Elle dispose de Trianon. Il lui achète, à sa demande
pressante, le château de Saint-Cloud.
Et l’on s’en prend à cette Autrichienne, Madame Déficit ,
qui ruine le royaume.
Mais elle est la reine, a-t-il parfois envie de s’écrier.
Et il veut prendre sa défense, la protéger des calomniateurs.
II apprend avec effarement et un sentiment d’indignation que
le cardinal de Rohan, grand aumônier de la Cour, en froid avec la reine, prétend
avoir acheté, pour se réconcilier avec elle, au joaillier Böhmer, un collier de
un million six cent mille livres.
Le cardinal assure qu’il a reçu des lettres de la reine, lui
demandant de faire cet achat s’il veut se réconcilier avec elle, qu’il l’a même
rencontrée une nuit dans les bosquets du parc du château de Versailles !
Louis est scandalisé.
Le récit suggère que la reine était prête à des
complaisances en faveur de Rohan – dupe et victime d’une comtesse de La
Motte-Valois, qui s’est approprié le collier –, afin d’obtenir l’achat du
collier !
Affaire ténébreuse, dont Louis pressent qu’elle va achever
de ternir la réputation de Marie-Antoinette.
Les jaloux, les rivaux, les ennemis de la monarchie et les
adversaires des réformes qu’on soupçonne Calonne de préparer vont se liguer, répandre
les rumeurs.
Mais Louis ne cède pas, ordonne l’arrestation du cardinal de
Rohan qui sera emprisonné à la Bastille, avant d’être jugé par le Parlement.
Le roi a laissé à Rohan le choix de cette procédure
parlementaire. Autant pour le roi choisir des adversaires comme juges ! Car
les parlementaires veulent empêcher le roi de rogner leurs droits et avantages,
et disculper Rohan – dont la famille est l’une des plus illustres du royaume – c’est
condamner la reine, et donc affirmer que le Parlement a le droit de la juger, comme
il pourrait aussi, dès lors, juger le roi.
Et c’est aux cris de « Vive le Parlement !, Vive
le cardinal
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