Le Peuple et le Roi
Versailles, et les députés aux États généraux sont
encore ensommeillés quand ce dimanche
12 juillet 1789, la nouvelle du renvoi de Necker se répand
dans Paris.
Il est autour de neuf heures.
La foule est déjà dans la rue, parce que la chaleur stagne
dans les soupentes, dans les logis surpeuplés, et les vagabonds, les indigents
et les paysans réfugiés dans la ville ont dormi à la belle étoile. Et puis c’est
dimanche, le jour où l’on traîne, du Palais-Royal aux Tuileries, des portes de
Paris au faubourg Saint-Antoine.
On a chaud. On a soif. On parle fort. On boit dans les
estaminets. Et tout à coup, cette rumeur qui court : Necker, le « père
du peuple », a été chassé par les aristocrates, la reine, le comte d’Artois,
cette cabale qui gouverne le roi.
Ils veulent donc étouffer le peuple, le massacrer, dissoudre
l’Assemblée nationale.
Ils vont donner l’ordre aux régiments étrangers qui campent
au Champ-de-Mars et sur les collines de tirer sur le peuple, de bombarder la
ville comme on le craint depuis près de dix jours.
On avait raison. Ils ont trahi le peuple.
À la fin de la matinée, on se presse au Palais-Royal, place
Louis-XV, aux Tuileries.
Des bandes d’« infortunés », de déguenillés dont
les visages et les propos attirent et effraient, parcourent les rues.
Au Palais-Royal, vers midi, un homme jeune, un avocat, un
journaliste, bondit sur une chaise, lève le bras, commence à parler d’une voix
enflammée.
On répète son nom, Camille Desmoulins.
Ils sont plus de dix mille à l’écouter.
Depuis plusieurs heures déjà cette foule s’échauffe, brandit
les poings, des piques, ces faux dont on a redressé la lame.
On a fustigé ce comte d’Artois pour qui Necker, aurait-il
dit, n’est qu’« un foutu bougre d’étranger ».
Et des agents soldés du duc d’Orléans ont répété dans la
foule que ce sont les « abominables conseillers du roi qui ont obtenu le
renvoi de Necker ».
Ils veulent « purger » la ville.
Et Desmoulins lance :
« Aux armes ! Pas un moment à perdre ! J’arrive
de Versailles : le renvoi de Necker est le tocsin d’une Saint-Barthélemy
des patriotes. Ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du
Champ-de-Mars pour nous égorger ! Il ne nous reste qu’une ressource, c’est
de courir aux armes ! »
« Aux armes ! » reprend-on.
Camille Desmoulins arrache des feuilles de marronnier, les
accroche à son chapeau.
Cette cocarde verte sera le signe de ralliement de tous ceux
qui veulent empêcher le massacre des patriotes.
« Aux armes ! Aux armes ! » crie-t-on en
s’élançant.
On se rend au cabinet de cire de Curtius. On lui emprunte
les bustes de Necker et du duc d’Orléans. Un cortège se forme, d’hommes et de
femmes qui arborent la cocarde verte et se dirigent vers les Tuileries.
Place Vendôme, ils lapident un détachement du Royal-Allemand
qu’ils refoulent, et, en brandissant les deux bustes, en criant « Aux
armes ! », ils arrivent place Louis-XV.
Le cortège s’arrête, face à des dragons du Royal-Allemand, commandés
par le prince de Lambesc.
Les cavaliers commencent à avancer vers la foule qui hésite,
reflue vers les terrasses des Tuileries, trouve là des pierres, des blocs
déposés en vue de la construction d’un pont sur la Seine.
On s’abrite, on lance des cailloux sur les dragons.
Lambesc charge, blesse d’un coup de sabre un vieillard.
Fureur, rage contre « le sanguinaire Lambesc ». On
résiste aux charges.
On pousse des cris de joie quand les gardes françaises
arrivent place Louis-XV et tirent sur les dragons.
Un dragon est renversé, fait prisonnier, malmené.
Lambesc hésite, craint qu’on ne relève le pont tournant, l’empêchant
ainsi de reculer, de passer sur la rive gauche.
Il se dégage, en chargeant, puis évacue la place.
On exulte. On crie qu’il faut se saisir du prince de Lambesc,
qu’il faut « l’écarteler sur-le-champ ».
On retourne au Palais-Royal. On pille les armureries, on
bouscule, frappe les passants qui n’arborent pas la cocarde verte.
On s’arrête devant les guinguettes, les estaminets, les
cabarets.
On raconte « la bataille » contre le
Royal-Allemand. Les victimes (un blessé !) dans les récits se multiplient,
font naître l’effroi et la fureur. Et quand on voit surgir des cavaliers du
Royal-Allemand qui patrouillent dans les faubourgs et le long des boulevards,
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