Le Peuple et le Roi
sont armés de broches, de piques, de fusils. Certains sont « presque
nus ». « Vile populace », murmurent les bourgeois.
Des groupes se forment devant les portes des maisons cossues,
celles d’ennemis de la nation et donc du tiers état.
Des hommes exigent qu’on leur ouvre les portes :
« On veut à boire, à manger, de l’argent, des armes. »
Dans la nuit, ils ont pillé le garde-meuble où sont
entreposées des armes et des armures de collection. Ils brandissent des sabres,
des coutelas, des lances.
Mais ce sont des armes de guerre qu’ils veulent.
« Des armes, des armes, nous voulons des armes », crient-ils
devant les Invalides.
Ils sont près de cinquante mille, qui ne se soucient guère
des canons qui menacent mais qui sont servis par des invalides, et ceux-ci ne
voudront pas tirer sur le peuple !
La foule piétine devant les fossés qui entourent les
bâtiments.
Des hommes apparaissent, portant au sommet d’une pique la
tête tranchée au coutelas de Flesselles, le prévôt des marchands, président de
l’Assemblée des électeurs parisiens, qu’on accuse d’avoir trompé le peuple, en
l’envoyant chercher des armes là où elles ne sont pas, à l’Arsenal, aux
Chartreux, aux Quinze-Vingts.
On s’y est précipité, on n’a rien trouvé, on a arraché
Flesselles à son fauteuil.
« Vous voilà donc, Monsieur le Prévôt, toujours traître
à la patrie ! »
On l’a tué d’un coup de pistolet, puis on lui a coupé la
tête, et elle dodeline, sanglante, au bout d’une pique.
« Nous voulons des armes ! »
On entend ce cri, au Champ-de-Mars, où sont rassemblés des
régiments d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, suisses pour la plupart, commandés
par le général baron de Besenval, suisse lui aussi.
Il attend des ordres, hésite, consulte ses chefs de corps :
les soldats sont-ils prêts à tirer sur les émeutiers ? Tous répondent par
la négative. Et le général baron de Besenval choisit de ne pas faire marcher
ses troupes vers les Invalides.
Il se demande s’il ne vient pas de décider du sort de cette
journée.
« Des armes, des armes. »
La foule escalade les fossés, défonce les grilles, se
précipite dans les caves, guidée par des invalides qui éclairent avec des
torches les fusils entassés, dont on s’empare, qu’on se passe de main en main.
On traîne douze pièces de canon, un mortier.
On brandit les fusils.
« Nous voulons de la poudre et des balles », crie-t-on
maintenant.
Il y en aurait à la Bastille, la vieille forteresse où le
roi enterre sur une simple lettre de cachet ceux qui lui déplaisent.
« À la Bastille ! »
Et ce n’est plus le poing qu’on brandit mais le fusil.
On court à l’Hôtel de Ville où siègent les représentants des
électeurs parisiens.
Un millier de personnes envahit la salle où ils délibèrent. Ils
sont pressés, menacés. Les baïonnettes effleurent leurs poitrines, et dehors
des dizaines de milliers de voix crient : « À la Bastille ! »
Les « électeurs » décident d’envoyer une
délégation au gouverneur de la forteresse, le marquis de Launay, afin qu’il
distribue de la poudre et des balles aux Parisiens qui doivent armer leur
milice bourgeoise.
La garnison de la Bastille compte 82 invalides et 32 soldats
suisses. Elle dispose de quelques canons.
Et autour de la forteresse avec ses fossés et ses
ponts-levis, et dans les rues voisines, se rassemblent au moins cent mille
Parisiens, auxquels se mêlent des gardes françaises, tirant cinq canons.
Il y a la foule spectatrice : elle crie, elle regarde, elle
attend, elle se tient à bonne distance, pour éviter les coups de feu s’ils
partent des tours hautes de quarante pieds, mais pour l’heure, en cette fin de
matinée du mardi 14 juillet, on ne tire pas.
Le gouverneur reçoit des délégations des « électeurs ».
Il ne veut pas donner de munitions, il n’a pas reçu d’ordre,
mais il négocie. Il invite les représentants des Parisiens à déjeuner, après
leur avoir fait visiter toute la forteresse.
Les députations se succéderont jusqu’à trois heures de l’après-midi.
Mais la situation s’est tendue.
Il y a huit à neuf cents hommes qui veulent conquérir la
forteresse. C’est parmi eux qu’on trouve les deux citoyens qui, par le toit d’une
boutique proche, parviennent au poste de garde, vide. Ils peuvent actionner la
machinerie du premier
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