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Le Peuple et le Roi

Le Peuple et le Roi

Titel: Le Peuple et le Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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pont-levis.
    Launay a eu beau montrer à la « députation » qu’il
fait reculer les canons, boucher les meurtrières, on l’accuse de trahison, d’avoir
laissé baisser le pont-levis pour que les « patriotes » s’engouffrent
dans la première cour, et là, pris dans la nasse, se fassent mitrailler.
    On commence à échanger des coups de feu de part et d’autre. Le
millier d’hommes décidés à partir à l’assaut est d’autant plus déterminé qu’il
sent derrière lui cette foule qui l’observe, et l’encourage.
    Il y a même parmi ces curieux « nombre de femmes
élégantes et de fort bon air qui avaient laissé leurs voitures à quelque
distance ».
    Ces hommes, fer de lance de la foule, sont ouvriers ou
boutiquiers du faubourg, tailleurs, charrons, merciers, marchands de vin. Et
parmi eux, soixante et un gardes françaises, et le sergent Hulin qui fait
mettre les cinq canons en batterie, contre les portes et ponts-levis de la
Bastille.
    Les ponts-levis s’abaissent. La Bastille capitule. On a
promis la vie sauve à la garnison.
    La foule déferle.
    On brise. On tire.
    Il y aura quatre-vingt-dix-huit morts et soixante-treize
blessés, mais combien durant le siège et l’assaut, et combien après la
capitulation dans le désordre que personne ne contrôle ?
    Les gardes françaises – Hulin, Élie, entré le premier –, les
vrais combattants – Maillard, un ancien soldat, le brasseur du faubourg
Saint-Antoine Santerre –, ne peuvent faire respecter les « lois de la
guerre ».
    C’est Élie qui a donné sa parole d’officier français qu’il « ne
serait fait aucun mal à personne ».
    Mais comment pourrait-il arrêter le torrent, contenir le
désir de se venger, d’abattre ces officiers, ces soldats, ce marquis de Launay ?
Plusieurs seront écharpés, dépecés.
    Le gouverneur de Launay a reçu un coup d’épée à l’épaule
droite. Arrivé dans la rue Saint-Antoine, « tout le monde lui arrachait
des cheveux, et lui donnait des coups ».
    « On hurle qu’il faut lui couper le cou, le pendre, l’attacher
à la queue d’un cheval. »
    « Qu’on me donne la mort », crie-t-il. Il se débat,
lance un coup de pied dans le bas-ventre de l’un de ceux qui l’entourent. Aussitôt
il est percé de coups de baïonnette, traîné, déchiqueté.
    « C’est un galeux et un monstre qui nous a trahis :
la nation demande sa tête pour la montrer au peuple. »
    C’est l’homme qui a reçu le coup de pied, un garçon cuisinier
du nom de Desnot, qui est « allé à la Bastille pour voir ce qui s’y
passait », qui croit mériter une médaille en « détruisant un monstre ».
Avec son petit couteau à manche noir, et son expérience d’homme qui « sait
travailler les viandes », Desnot tranche la tête de Launay. On enfonce
cette tête au bout d’une fourche à trois branches et on se met en marche.
    Rue Saint-Honoré, on accroche à la tête deux inscriptions, pour
qu’on sache à qui elle était.
    Et sur le Pont-Neuf, on l’incline devant la statue d’Henri
IV, en criant : « Marquis, salue ton maître. »
     
    Dans les jardins du Palais-Royal, où l’on a planté les têtes
de Flesselles, de Launay et de quelques autres défenseurs de la Bastille, sous
les acclamations de la foule, on a dressé des listes de proscription : le
comte d’Artois, le maréchal de Broglie, le prince de Lambesc, le baron de
Besenval…
    Une récompense est promise à qui disposera leurs têtes au
café du Caveau.
    On porte en triomphe jusqu’à l’Hôtel de Ville les sept
prisonniers qu’on a libérés de la Bastille – quatre faussaires, deux fous et un
débauché – et déjà, on commence à arracher des pierres à la forteresse.
    Elle était dans Paris le visage menaçant de l’ordre et de la
force monarchique. Elle doit être détruite, pierre après pierre.
     
    Mais le pouvoir du roi renversé, c’est le désordre qui règne
à Paris.
    « Nous faisions une triste figure, dit un bourgeois, membre
de la milice. Nous ne pouvions contenir la fureur du peuple. Si nous l’eussions
trop brusqué, il nous aurait exterminés. Ce n’est pas le moment de lui parler
raison. »
    Alors les bourgeois mettent la cocarde « bleu et rouge »
à leur chapeau, et patrouillent, arrêtant les voitures des nobles qui s’enfuient
à la campagne.
    « On les visite, on les fouille, on renvoie les nobles
dans leurs hôtels. On ne souffre pas qu’ils sortent de la ville. La

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