Le Peuple et le Roi
désorienté, comme si tout le paysage en place depuis des
siècles bougeait.
Il préfère se taire, muet face à ceux qui l’interrogent, espérant
des réponses qu’il ne sait pas, ne veut pas, ne peut pas donner.
« Quand on parle d’affaires à cet être inerte, dit l’un
de ses ministres, il semble qu’on lui parle de choses relatives à l’empereur de
Chine. »
Et ce qui arrive en effet, lui paraît étrange, incompréhensible
et – de là naît l’angoisse – inéluctable.
Qui sont, que pensent ces députés qui se réunissent rue
Saint-Honoré, non loin des Tuileries, dans l’ancien couvent des Jacobins ?
Ils se regroupent sous le nom de Société des Amis de la Constitution, qu’on
appelle bientôt club des Jacobins, qui a de nombreuses filiales en province
et où l’on rencontre aussi bien Sieyès que Mirabeau, La Fayette, Barnave que
Robespierre, et c’est ce dernier qui, le 31 mars 1791, en sera élu président.
Mais il existe aussi dans le quartier des Écoles, place du
Théâtre-Français, autour de l’avocat Danton, le club des Cordeliers.
Louis a le sentiment que dans cette « machinerie »
nouvelle, ni lui ni ses partisans ne peuvent trouver leur place.
On lui rapporte que dans l’Assemblée, les monarchistes « n’écoutent
pas, rient, parlent haut », interviennent peu souvent, et maladroitement, s’inquiètent
des menaces que depuis les tribunes on leur lance.
« Nous vous recommanderons dans vos départements »,
leur crie-t-on. Et en effet l’on s’attaque à leurs châteaux et leurs propriétés.
L’Américain Morris écrit de ces « aristocrates » :
« Ils sortent de la salle, lorsque le président pose la question, et
invitent les députés de leur parti à les suivre, ou leur crient de ne point
délibérer, par cet abandon, les clubistes devenus la majorité décrètent tout ce
qu’ils veulent. »
« Impossible, confie Mounier, qui a été élu président
de l’Assemblée, avant de se retirer en Dauphiné puis d’émigrer, que ces députés
de la noblesse et du clergé retardassent l’heure de leur repas. »
Ils quittent l’Assemblée vers cinq heures, et les députés « patriotes »
font passer aux « chandelles » les motions qu’ils désirent, assurés d’avoir
la majorité.
Louis ne sait ainsi comment agir. Tout change si vite. Il ne
se confie pas. Il ne donne pas sa confiance, sinon à la reine, dont il mesure l’amour
qu’elle porte à ses deux enfants, l’attachement qu’elle lui manifeste, la
résolution qu’elle montre.
« Quand elle lui parle, raconte le général Besenval, dans
les yeux et le maintien du roi il se manifeste une action, un empressement que
rarement la maîtresse la plus chérie fait naître. »
À qui d’autre pourrait-il se fier ?
Son frère, le comte d’Artois, a émigré à Turin, et rassemble
autour de lui les nobles qui veulent détruire ce nouveau régime, et rétablir la
monarchie dans tous ses droits sacrés.
Son cousin le duc d’Orléans a lui aussi émigré, mais à
Londres, et il mène sa politique, continue d’entretenir des liens avec La
Fayette. Quant au comte de Provence, Louis sait que ce frère est dévoré d’ambition.
Le comte de Provence complote, finance l’un de ses proches, le
marquis de Favras, qui a recruté des gardes nationaux « soldés », en
les payant, pour qu’ils assassinent La Fayette, Bailly et Necker, la nuit de
Noël 1789.
Favras est démasqué, arrêté, mais le comte de Provence
réussit, en se présentant à l’Hôtel de Ville, à détourner les soupçons.
Mirabeau l’a conseillé, mais est aussi déçu. Le comte est d’une
prudence lâche, égoïste, soucieux non de la monarchie et du royaume, mais de
son destin personnel.
« La reine le cajole et le déjoue, confie Mirabeau. Elle
le traite comme un petit poulet qu’on aime bien à caresser à travers les
barreaux d’une mue, mais qu’on se garde d’en laisser sortir et lui se laisse
traiter ainsi. »
Le comte abandonne le marquis de Favras qui, condamné à mort,
ne livrera aucun secret.
On conduira Favras à Notre-Dame pour faire amende honorable.
Il sera accueilli place de Grève par des insultes et des cris. Et lorsqu’on lui
passe la corde au cou, la foule hurle : « Saute, marquis ! »
L’arrestation puis l’exécution de Favras, pour crime de « lèse-nation »,
justifient les inquiétudes et les soupçons.
Les journaux monarchistes, L’Ami
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