Le Peuple et le Roi
d’être allumé, et les envoyés du comte d’Artois
l’attisent, dans ces provinces où les guerres de religion, la révocation de l’édit
de Nantes, les persécutions ont laissé des traînées sanglantes.
À Toulouse, la procession qui rappelle et chante l’extermination
des albigeois donne naissance à une émeute entre « aristocrates » et « patriotes ».
On se bat entre catholiques et protestants à Montauban. À
Nîmes, on comptera quatre cents morts. À Avignon, on revendique le rattachement
du comtat à la nation après avoir battu les « papistes ».
Puis, les paysans des Cévennes, armés de piques, de fusils
et arborant la cocarde tricolore, descendent de leurs villages pour mater les « noirs »,
les aristocrates et les « calotins ».
Louis sent qu’il y a pour la monarchie une partie à jouer. Le
chaos, l’anarchie, les jacqueries, la misère, le regain des haines religieuses,
la misère et ces ateliers de charité qu’il faut créer, les troubles qui se
produisent dans tous les corps de troupes et qui opposent officiers « aristocrates »
et gradés roturiers, alliés aux soldats patriotes, tout cela peut faire que le
peuple enfin retourne vers son roi.
Mais il faut agir habilement, et d’abord dissimuler, convaincre
que l’on accepte et soutient ce qui a été accompli.
Louis n’éprouve aucun trouble à l’idée de cacher sa pensée.
Il est le roi. Son devoir sacré est de préserver son
autorité, afin de sauver sa dynastie, son royaume, d’y ramener l’ordre et la
paix.
Et il veut le faire avec sagesse, en n’ayant recours à la force
que s’il n’y a pas d’autres voies.
Il accepte la proposition de Necker, de se rendre à l’Assemblée,
d’y prononcer un discours que son ministre lui prépare.
Les députés s’empressent autour de lui, le 4 février 1790.
« Je défendrai, je maintiendrai la liberté
constitutionnelle dont le vœu général d’accord avec le mien a consacré les
principes », dit-il.
On doit en finir avec les violences.
« Éclairer sur ses véritables intérêts le peuple qu’on
égare, ce bon peuple qui m’est si cher et dont on m’assure que je suis aimé
quand on vient me consoler de mes peines. »
On l’acclame. Il poursuit.
« Ne professons tous à compter de ce jour, je vous en
donne l’exemple, qu’une seule opinion, qu’un seul intérêt, qu’une seule volonté,
l’attachement à la Constitution et le désir ardent de la paix, du bonheur et de
la prospérité de la nation. »
Les députés prêtent serment à la loi, à la nation, au roi. Ils
scandent « Vive le roi ! », le raccompagnent au palais, où
Marie-Antoinette leur présente le dauphin.
Seuls, les aristocrates sont stupéfaits et hostiles.
Le roi, pensent-ils, a brisé son sceptre, en acceptant cette
Constitution.
Mais Louis a le sentiment d’avoir réussi à convaincre.
« Vive Dieu, mon cher ami, écrit le libraire Ruault à
son frère, et Vive le bon roi Louis XVI, qui vient de se placer hier au rang
des princes justes. Sa visite à l’Assemblée nationale étouffe ou doit étouffer
tous les germes de la division, des opinions et des intérêts. Il s’est mis volontairement
à la tête de la Constitution. Taisez-vous maintenant petits et grands
aristocrates, brûlez vos brochures et vos plans de contre-révolution. Revenez, fugitifs,
vous serez en sûreté par toute la France. Nous compterons trois bons rois dans
notre histoire, Louis XII, Henri IV et Louis XVI. Il faudra célébrer chaque
année cette rare épiphanie, pour moi je ne révère plus que celle-là. »
Peut-être le regard du peuple a-t-il changé. Louis veut le
croire.
Il se montre chaleureux avec les gardes nationaux, qui
assurent « trente heures de service au château des Tuileries ».
L’un d’eux écrit : « J’y ai vu Marie-Antoinette de
très près. J’ai assisté même à son dîner. Elle se porte bien et j’ai été
émerveillé de sa bonne contenance. Le roi se promène à grands pas dans le
jardin ; il fatigue aisément les plus lestes et les fait suer de tout leur
corps, car il fait très chaud. Le petit dauphin est beau comme un ange ; il
a une figure très gracieuse, franche et ouverte ; il saute et gambade le
long des terrasses et joue avec tous les enfants qu’il rencontre. »
Mais l’illusion qu’entre la famille royale et le peuple, de
nouveaux liens apaisés se sont tissés dure peu. Et Louis comme la reine
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