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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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C’était un suicide pur et simple, du moins pour moi. Mais
Lewicki s’impatientait :
    « Allons, allons ! m’a-t-il pressé en voyant que
je restais les bras ballants au lieu de réunir en hâte quelques affaires dans
un sac ainsi qu’il l’avait prévu, puis son ton s’est radouci quand il a essayé
de me rassurer : Ne vous en faites pas ! Tout est prévu. Quelqu’un
vous attend non loin d’ici, qui va vous conduire en lieu sûr… »
    Je n’avais toujours pas l’intention de bouger.
    « Tant pis », ai-je pensé. Que Lewicki se mette à
l’abri et la Gestapo ne le retrouverait pas. Quant à moi, si le pire devait
arriver, j’aimais mieux perdre la vie ici que de me risquer à nouveau dans les
rues. Je n’avais tout bonnement plus la force de fuir encore. Je ne sais
comment j’ai réussi à expliquer tout cela à mon cher ami. Nous nous sommes
donné l’accolade, presque certains de ne jamais nous revoir dans ce monde, puis
il s’est glissé hors de l’appartement.
    Je me suis mis à arpenter cette chambre qui une heure plus
tôt m’avait semblé le plus sûr des refuges mais dans laquelle je me sentais
désormais en cage. Oui, j’étais enfermé là comme un animal promis à l’abattoir
et les bouchers seraient bientôt à l’ouvrage, enchantés par leur trouvaille… Moi
qui n’avais jamais fumé, en attendant la mort ce jour-là j’ai consumé tout le
paquet que Lewicki avait oublié en partant, une bonne centaine de cigarettes !
Mais elle tardait à venir, tardait encore. Sachant que la Gestapo aimait
intervenir en soirée ou tôt le matin, je suis resté habillé dans le noir, les
yeux fixés sur la rambarde du balcon à travers la fenêtre, guettant le moindre
bruit venu d’en bas ou des escaliers. Les mots d’adieu de Lewicki résonnaient
toujours en moi. Il avait déjà la main sur la poignée de la porte quand il
était revenu en arrière, m’avait à nouveau serré dans ses bras et avait
chuchoté : « Si jamais ils arrivent jusqu’ici, sautez par-dessus le
balcon ! Ne les laissez pas vous capturer vivant… » Et pour me rendre
la perspective d’un suicide plus supportable il avait ajouté sombrement :
« Moi, j’ai du poison dans ma poche. Ils ne m’auront pas non plus ! »
    Le temps passait, cependant. La rue s’était vidée peu à peu,
les fenêtres de l’immeuble d’en face se sont éteintes l’une après l’autre mais
les Allemands ne venaient toujours pas. Mes nerfs étaient tendus à se rompre, au
point que je me surprenais parfois à souhaiter qu’ils enfoncent la porte au
plus vite, si tel devait être mon sort. À un moment de la nuit, j’ai soudain
opté pour une autre forme de suicide sans même discerner la raison de ce choix :
il valait mieux me pendre que de me jeter du balcon. Simplement, cette fin-là
me paraissait plus facile, plus discrète. Toujours dans l’obscurité, j’ai
tâtonné dans la pièce à la recherche de ce qui pourrait faire office de corde. Il
m’a fallu un long moment pour découvrir un bout d’épais cordon dissimulé
derrière les livres d’une étagère.
    J’ai retiré le tableau le plus proche, vérifié que le
crochet était solidement planté dans le mur. J’ai préparé le nœud coulant… et j’ai
attendu. La Gestapo ne s’est pas montrée.
    Ils ne sont pas venus le lendemain ni les jours suivants. Mais
le vendredi matin, vers onze heures, alors que j’étais étendu sur le divan
après une autre nuit blanche ou presque, j’ai entendu des coups de feu éclater
en bas. Je me suis précipité à la fenêtre : une rangée de policiers
déployée sur toute la largeur de l’artère, d’une façade à l’autre, tirait à l’aveuglette
dans la foule qui s’enfuyait devant eux. Après quelques minutes, des camions de
SS sont apparus et toute une portion de la rue a été encerclée. Celle dans
laquelle mon immeuble se trouvait. Des groupes d’officiers de la Gestapo ont
commencé à entrer dans chaque bâtiment et à en ressortir peu après en poussant
des hommes devant eux. Je les ai vus s’engouffrer sous mon porche…
    Mon destin était scellé. J’ai rapproché une chaise pour
atteindre le crochet plus facilement, j’ai vérifié le nœud coulant, puis je
suis allé coller l’oreille contre la porte. J’ai entendu des Allemands crier
quelques étages plus bas. Une demi-heure s’est écoulée. Un calme irréel s’est
installé. Je suis allé risquer un coup d’œil à la fenêtre :

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