Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
Vom Netzwerk:
devait se produire puisque le silence régnait un moment. Ensuite,
je percevais une troisième voix, celle du piano sur lequel la jeune femme se
mettait à taper avec entrain et un nombre respectable de fausses notes. Mais ce
pianotage ne durait pas très longtemps, non plus, car bientôt s’élevaient des
reproches ulcérés : « Ah ! d’accord, très bien, je ne joue plus,
alors ! Tu n’écoutes jamais quand je fais de la musique ! » Et
la querelle reprenait de plus belle, et désormais c’étaient des noms d’oiseaux
qui pleuvaient…
    En les écoutant, j’ai souvent pensé avec tristesse que j’aurais
tant donné pour le bonheur de m’asseoir devant ce vieil instrument désaccordé
qui était la cause de toutes ces scènes de ménage, à côté !
    Les jours ont passé. Mme Malczewska ou Lewicki venait
régulièrement m’apporter des vivres et des nouvelles du reste du monde. Ces
dernières étaient désolantes – j’ai été navré d’apprendre que les troupes
soviétiques avaient reperdu Kharkov et que les Alliés battaient en retraite en
Afrique. Condamné à l’oisiveté, contraint la plupart du temps de rester seul
avec mes idées noires, hanté par le destin affreux que ma famille avait connu, je
replongeais rapidement dans la dépression. Quand j’allais regarder par la
fenêtre, la circulation dans la rue me paraissait immuable et en voyant les
Allemands aller et venir plus tranquillement que jamais je me disais que ce
cauchemar serait sans fin. Et dans ce cas quel serait mon destin ? Après
des années d’absurdes efforts et de souffrances inutiles, je serais découvert et
on m’abattrait sommairement. La seule et unique forme d’espérance était d’arriver
à me suicider avant de tomber vivant entre leurs mains.
    Cette humeur funèbre n’a commencé à se dissiper qu’au moment
où les Alliés sont repartis à l’offensive en Afrique, cette fois en remportant
victoire sur victoire. Et puis, par une chaude journée de mai, j’étais en train
de réchauffer un peu de soupe pour mon déjeuner quand Lewicki a bondi dans l’appartement,
le souffle coupé d’avoir grimpé si vite les quatre étages. Dès qu’il a été en
mesure de parler, il s’est empressé de m’annoncer la grande nouvelle : les
derniers bastions africains de l’Axe étaient tombés.
    Si seulement cela n’avait pas été si tard… Si les forces
alliées avaient triomphé en Europe plutôt qu’en Afrique, à ce stade, j’aurais
pu y trouver quelque réconfort, des raisons d’espérer. Et peut-être le
soulèvement que préparaient alors les petits groupes de Juifs restés dans le
ghetto aurait eu au moins une chance de réussir, certes minime mais… Car
parallèlement à ces informations encourageantes en provenance du lointain
continent africain, ce que Lewicki pouvait apprendre quant au destin tragique
que connaissaient mes frères de Varsovie, cette poignée de Juifs qui avaient
résolu envers et contre tout d’opposer une résistance active aux Allemands, était
effrayant. Par les journaux clandestins qu’on me transmettait, j’ai suivi la
poursuite du soulèvement dans le ghetto, les combats immeuble par immeuble, rue
après rue, les lourdes pertes subies par les nazis. Malgré le recours à l’artillerie,
aux chars et à l’aviation, il leur a fallu des semaines pour écraser les
rebelles, dont les moyens militaires étaient dérisoires comparés aux leurs, mais
ils étaient tous décidés à combattre jusqu’à la mort. Une fois, dans un bâtiment
que les Allemands venaient de reprendre, les femmes encore à l’intérieur sont
montées au dernier étage avec les enfants et ont préféré se jeter dans le vide
avec leur progéniture. Tard le soir, en me penchant par la fenêtre, j’apercevais
les flammes monter du nord de la capitale, ainsi que de lourds nuages de fumée qui
dérivaient dans le ciel étoilé.
    Début juin, Lewicki est arrivé un jour que je ne l’attendais
pas, et vers midi contrairement à son habitude. Mal rasé, les yeux cernés comme
s’il n’avait pas dormi de la nuit, il avait l’air affolé.
    « Habillez-vous ! m’a-t-il commandé dans un
murmure.
    — Que s’est-il passé ?
    — Hier soir, la Gestapo a fait une descente dans la
chambre que j’occupe chez M. et Mme Malczewski. Ils peuvent arriver
ici d’un instant à l’autre. Il faut partir, tout de suite ! »
    Partir ? En pleine journée, sans même la protection de
l’obscurité ?

Weitere Kostenlose Bücher