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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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oui, même si la dénutrition, combinée à
cette solitude désespérante, m’avait déclenché une jaunisse. Là encore, Szalas
n’a pas semblé prendre mon état au sérieux. Très amusé, il m’a raconté l’histoire
de son grand-père, lequel se faisait envoyer paître par sa petite amie chaque
fois qu’il était atteint par une crise de foie, dans sa jeunesse. À ses yeux, ce
n’était pas une « vraie » maladie… En guise de consolation, il m’a
annoncé que les Alliés venaient de débarquer en Sicile. Enfin, il a pris congé
et s’est échappé dans l’escalier. Je ne l’ai plus jamais revu.
    Dix jours ont passé, puis douze, puis quinze. J’étais si
affaibli que je n’arrivais même plus à me traîner jusqu’au robinet. Si la
Gestapo m’avait surpris à ce stade, je n’aurais pas été capable de me pendre. Je
somnolais toute la journée, ne reprenant mes esprits que pour être atrocement
tourmenté par la faim. Mon visage et mes membres étaient déjà tout enflés lorsque,
contre toute attente, Mme Malczewska s’est matérialisée un matin à mon
chevet. Je savais qu’avec son époux et Lewicki elle avait été obligée de fuir
Varsovie pour se cacher. Elle n’a pas été moins surprise que moi : son
intention était seulement de passer me dire bonjour car elle était certaine que
j’étais régulièrement aidé et nourri. C’est elle qui m’a appris que Szalas
avait collecté de l’argent pour moi à travers toute la ville, et une belle
somme en plus, personne n’étant prêt à rechigner quand il s’agissait de sauver
une vie. Il avait certifié à tous mes amis qu’il me rendait visite presque
quotidiennement et que je n’avais besoin de rien.
    Mme Malczewska n’est restée que peu de temps à Varsovie
mais avant de repartir elle a tenu à me combler d’abondantes provisions et m’a
promis de veiller à ce que quelqu’un de plus fiable s’occupe de moi. L’embellie
a peu duré, hélas !
    Le 12 août, vers midi, tandis que selon mon habitude je me
préparais un bol de soupe, on a soudain frappé brutalement à ma porte. Ce n’était
pas du tout la manière dont mes amis annonçaient leur arrivée, non, mais un
martèlement insistant, agressif. Les Allemands ? Après le premier sursaut
de panique, toutefois, j’ai noté que c’étaient des voix féminines qui
accompagnaient le vacarme. L’une d’elles répétait : « Ouvrez
immédiatement ! Ouvrez ou j’appelle la police ! »
    Les coups redoublaient de violence. Ils ne pouvaient avoir
qu’un motif : ayant découvert que je me cachais là, les autres habitants
de l’immeuble avaient décidé de me livrer aux autorités avant d’être accusés de
donner asile à un Juif.
    Je me suis habillé en hâte, j’ai jeté mes partirons et
quelques affaires dans un sac. Dehors, le calme est revenu un moment. Exaspérées
par mon silence, les harpies avaient sans doute mis leur menace à exécution et
se dirigeaient déjà vers le poste de police le plus proche. Sans bruit, je me
suis glissé sur le palier pour tomber nez à nez avec l’une d’entre elles, qui
de toute évidence était restée là pour monter la garde. Elle m’a résolument
barré le passage.
    « Vous vivez dans cet appartement, là ? a-t-elle
demandé en montrant ma porte du doigt. Vous n’êtes pas recensé ! »
    Je lui ai répondu que le locataire en titre était un de mes
amis et que j’avais cru le trouver chez lui, explication qui ne tenait guère
debout et n’a évidemment pas convaincu l’inquisitrice.
    « Montrez-moi donc votre laissez-passer ! a-t-elle
crié encore plus fort. Allez, tout de suite ! »
    Ici et là, des voisins passaient la tête dans l’embrasure de
leur entrée, ameutés par le scandale. Sans plus hésiter, j’ai écarté la femme
de mon chemin et je me suis précipité dans les escaliers, poursuivi par ses
glapissements : « Fermez la porte, en bas ! Vite ! Ne le
laissez pas échapper ! »
    Au rez-de-chaussée, j’ai croisé la concierge qui par chance
n’avait pas compris ce que l’autre était en train de hurler. En quelques
secondes, j’étais dans la rue et je m’éloignais en courant.
    J’avais une fois encore échappé à la mort mais elle restait
sur mes talons ; à une heure de l’après-midi, je me retrouvais en pleine
rue avec une barbe hirsute, des cheveux qui n’avaient pas été coupés depuis des
mois, dans un costume tout élimé et froissé… Sans parler de mes traits

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