Le pianiste
sémites.
Comment ne pas attirer l’attention ? Je me suis jeté dans une ruelle
adjacente, sans vraiment savoir où aller. Dans ce quartier, je ne connaissais
que les Boldok, qui habitaient rue Narbutt. J’étais tellement nerveux que je me
suis perdu, moi qui connaissais pourtant fort bien cette zone de la ville. Pendant
près d’une heure, j’ai erré dans les artères les moins fréquentées avant d’arriver
enfin à la destination que je m’étais fixée. J’ai longuement hésité devant la
sonnette ; j’espérais trouver le salut derrière cette porte, bien sûr, mais
je n’avais que trop conscience du danger que ma seule présence ferait courir à
mes amis, car si j’étais découvert chez eux ils seraient abattus eux aussi. Je
n’avais pas le choix, cependant.
Dès qu’ils m’ont ouvert, je leur ai promis de rester le
moins possible, juste le temps de passer quelques appels téléphoniques pour
trouver une nouvelle cachette. Mais ces tentatives n’ont donné aucun résultat :
plusieurs de mes amis ne pouvaient m’héberger, d’autres étaient obligés de
rester chez eux parce que le centre-ville était quadrillé par la police, nos
réseaux clandestins ayant réussi le jour même à mener une attaque audacieuse sur
l’une des principales banques de Varsovie. Comprenant ma situation, les Boldok,
un ingénieur et son épouse, ont décidé de me laisser passer la nuit dans un
appartement vide de leur immeuble dont ils avaient les clés.
Le lendemain matin, un autre de mes anciens collègues de la
radio, Zbigniew Jaworski, s’est présenté. Il avait été alerté et se disposait à
me prendre chez lui quelques jours. Un moment de répit, donc, sous le toit de
braves gens qui ne voulaient que mon bien ! Le premier soir chez eux, j’ai
pu prendre un bain puis nous avons partagé un délicieux dîner arrosé de schnaps,
ce qui était trop pour mon foie, malheureusement. Malgré ce chaleureux accueil
et surtout l’opportunité de pouvoir enfin parler après des mois de silence
forcé, je comptais bien quitter mes hôtes au plus vite tant je craignais de les
mettre en danger, et ce en dépit des efforts de Zofia Jaworska et de sa
valeureuse mère, Mme Bobrownicka, qui insistaient toutes deux pour que je
reste le temps qu’il faudrait.
Tous mes efforts en vue de trouver un nouvel hébergement ont
cependant tourné court. Chaque fois, je me heurtais à un refus gêné que je
comprenais, bien entendu, car ces gens risquaient la peine capitale en
acceptant un Juif chez eux. J’étais plus abattu que jamais lorsque la providence
est encore venue à mon secours in extremis, cette fois en la personne d’Helena
Lewicka, la belle-sœur de Mme Jaworska. Alors qu’elle ne me connaissait
même pas, il lui a suffi d’entendre le récit de ce qui m’était arrivé pour me
prendre aussitôt sous son aile. Mon infortune lui a tiré des larmes quand son
existence n’avait rien de facile et qu’elle avait de multiples raisons d’être
affligée par le sort de nombre de ses proches ou de ses amis.
Le 21 août, après ma dernière nuit chez les Jaworski et
tandis que la Gestapo écumait le quartier en mettant les nerfs de chacun à vif,
j’ai été transféré dans un vaste complexe immobilier de l’allée Niepodleglosci.
Ma dernière cachette avant le soulèvement polonais et l’anéantissement complet
de Varsovie était un spacieux studio au quatrième étage équipé du gaz et de l’électricité
mais sans eau courante. Il fallait descendre en chercher au robinet des
toilettes collectives qui se trouvaient au rez-de-chaussée. Mes voisins étaient
tous des intellectuels bien plus cultivés que mes anciens voisins de la rue
Pulawska. Le couple qui vivait le plus près de moi sur le même palier, tous
deux très actifs dans la résistance, ne passait jamais la nuit chez lui. Cela
présentait un risque potentiel pour moi, certes, mais je préférais de loin ce
voisinage à celui de Polonais sans éducation prompts à me livrer à l’occupant
par peur des représailles.
Tout autour de nous, la plupart des immeubles avaient été
annexés par les Allemands et abritaient nombre d’officiers supérieurs de leur
armée. Face à mes fenêtres, il y avait un grand hôpital encore en construction
flanqué d’entrepôts où je voyais chaque jour des prisonniers de guerre soviétiques
s’affairer à apporter ou à sortir de lourdes caisses. Cette fois, le hasard m’avait
conduit au cœur d’un des
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