Le piège de Dante
cocon, laissant traîner derrière lui des miasmes rampants. Viravolta porta une main à son crâne. Il n’eut pas de mal à comprendre que la venue impromptue d’Anna et du sénateur représentait bel et bien sa dernière chance.
— Je... je ne peux rien faire seul, dit-il. Giovanni ! Ils sont fous, croyez-moi. Je suis tombé dans un piège. C'est l'Ombre elle-même que j’ai vue à San Marco. Elle a tué Vindicati avant de jeter son corps... Il était... dans un état... J’ai reçu un billet qui m’a poussé à quitter la casa Contarini pour me rendre sur place et je n’ai flairé le traquenard que trop tard. Mais le Doge est toujours en danger, et après ce que j’ai vu au Grand Conseil, je ne donne pas cher de lui, devant la cohue générale... Surtout maintenant que les Dix sont décapités. Bien sûr, il reste Pavi, de la Criminale , en qui j’ai confiance. Mais c’est bien peu face à ce qui s’annonce. Sénateur, il faut me sortir d’ici !
Giovanni hocha la tête avec dépit.
— Cela n’est malheureusement pas en mon pouvoir, en tout cas pour le moment. Mais il y a autre chose que vous devez savoir.
Campioni eut une profonde inspiration. Le geste ample, il sortit de sa robe, comme par magie, un rouleau de papier fermé d’un ruban rouge, qu’il ouvrit sous les yeux de Viravolta.
— Je ne suis pas resté inactif durant ces derniers jours. Je suis toujours sur la piste de Minos. Et les nobles qui m’entourent ont eux aussi diligenté leur propre enquête. L'un d'eux a abouti à une bien étonnante révélation. Ce que nous avons découvert m’a laissé sans voix.
Il se racla la gorge.
— J’ai entre les mains l’esquisse d’un traité, Viravolta.
— Un traité ?
— Il s’agit d’un traité d’assistance mutuelle, à l’état d’ébauche, retrouvé à demi brûlé dans une cheminée de l’un des appartements loués pour le Panoptique, et qui est passé entre les mailles des recherches de Pavi et de la Criminale. Ce document ne porte ni cachet ni signature, mais il désigne clairement les deux parties. L'une d'entre elles est la Chimère. Et l’autre...
— L'autre ?
Campioni plissa les yeux, l’air sombre.
— Il s’agit d’un homme du nom d’Eckhart von Maarken.
Il marqua un temps.
— Cela vous dit-il quelque chose ?
— Non, dit Pietro.
Le sénateur poursuivit :
— Von Maarken est l’une des plus grandes fortunes d’Autriche. Il est toutefois considéré comme un renégat aux yeux de son propre gouvernement. On l’a accusé de détourner des fonds de l’Etat à des fins personnelles, mais en l’absence de preuves, on s’est contenté de le mettre à l’écart. C'est un homme dont l’ambition et la mégalomanie font qu’il ne peut s’accommoder d’être ainsi chassé du pouvoir. Il a longtemps servi aux Affaires étrangères et connaît Venise par coeur. Il a fréquenté Loredan lui-même! L'Autriche regarde depuis longtemps vers l’Adriatique, Viravolta; souvenez-vous qu’elle s’est étendue aux Pays-Bas et à une partie de l’Italie... La Couronne sort à peine d’une guerre de succession sanglante; l’impératrice Marie-Thérèse n’a conservé son héritage que grâce au soutien de l’Angleterre, et il faut croire qu’elle est davantage préoccupée par Frédéric de Prusse et la perte de la Silésie que par une tentative de mainmise sur Venise ; mais on murmure à Vienne, en Hongrie et en Bohême qu’elle prépare une revanche qui risquerait fort de nous toucher, de près ou de loin. Quoi qu’il en soit, von Maarken est un pion incontrôlable qui ne manque ni d’appuis, ni de ressources; il agit en toute indépendance et je ne serais pas surpris qu’il cherche à tenter un coup de force pour servir un Empire qui le conspue et retrouver par là ses faveurs. Jusqu’à présent, une menace de cet ordre n’était prise au sérieux par aucun d’entre nous. Mais il y a une dernière chose : von Maarken aurait, paraît-il, quitté son château de Knittelfeld il y a près de deux semaines. Il est peut-être ici même, au coeur de la République.
— Von Maarken serait Minos ?
— Ou il Diavolo , à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même personne. Il a visiblement rallié Ottavio à sa cause. Mais, en toute hypothèse, il ne pouvait fomenter une telle conjuration sans un soutien ici, à Venise. Le traité prévoit une mise à disposition de forces conjointes, navales et terrestres. Une partie des Oiseaux de feu est
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