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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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sentait que trop les failles nouvelles venant se dessiner sur l’image qu’il s’était construite de sa propre assurance ; il se craquelait, comme ces portraits antiques qui autrefois l’avaient saisi d’une si mystérieuse admiration, portraits d’empereurs figés en leur mosaïque. Une seule chose lui apparaissait clairement, et achevait de le réduire à rien : comme il s’était éloigné de ses rêves! Comme tout cela, le portant aux lisières d’une démence absolue, l’avait entraîné sur un chemin qui n’était pas, ne pouvait être le sien ! L'Orchidée Noire, agent de la République ! Et soudain, au milieu de ses affres insupportables, alors que le monde entier lui semblait un leurre, Pietro voyait ressurgir le flot de ses souvenirs, bribes de mémoire liées à ce culte, ce seul culte qui en valait la peine – le plaisir, le goût de la rencontre, le jeu subtil des séductions, la plénitude de l’extase : une femme, des femmes, ces anges égarés ici, cette unique religion qu’il avait voulu professer, la religion de l’amour, cet amour tel qu’il était, beau, fluctuant ou éternel, tragique et incertain, sa seule vérité! Une hanche, la courbe d’un sein, le corps à corps, des baisers perdus au creux de douces chevelures, des visages égarés, aux lèvres frémissantes, murmurant son nom dans l’instant éternel de la possession ! Et, figure entre toutes, déesse inaccessible, Anna Santamaria ! Que lui avait-il pris ? Pourquoi n’avait-il pas fui avec elle dès le premier jour? Quel orgueil absurde l’avait-il donc poussé à renier à ce point sa nature? Pietro s’effondrait, refusant pourtant ces larmes amères qui achèveraient de consommer son échec. Le dos contre les parois de son cachot, il glissait lentement jusqu’à rencontrer le froid contact du sol, le regard tourné vers cette lucarne qui donnait sur le couloir où, de temps à autre, passait l’ombre de Basadonna, si prompt à enfoncer un peu plus les clous de son cercueil par une plaisanterie chargée d’ironie.
    Non loin, Giacomo Casanova était toujours enfermé. Pietro avait à peine eu le courage de lui expliquer ce qui se passait; il s’était borné au minimum. Giacomo avait seulement compris que, pour son ami, tout semblait perdu. Il lui avait demandé des nouvelles d’Anna, renforçant sans le savoir la terreur de Pietro. Il lui avait proposé, comme au bon vieux temps, une partie de cartes de cellule à cellule, l’un de ces petits jeux qu’avec l’assentiment tacite de Basadonna, ils avaient mis au point lors de leur enfermement commun. Mais bientôt, toute trace d’humour avait disparu de la voix claire de Casanova, qui commençait lui-même à désespérer de sortir du mauvais pas dans lequel il s’était mis. Il attendait à l’infini son procès en appel et ne s’expliquait pas le différé de son passage en jugement. Pietro, lui, n’en comprenait que trop les raisons.
    Tu aurais dû fuir, avait dit Casanova. Fuir comme je te l’avais dit, fuir pour la France.
    Et le silence ne tarda pas à retomber entre eux.
    Un silence de plomb.
    La première nuit fut un cauchemar. Les souvenirs de la claustration ancienne de Pietro se mêlaient à l’amère réalité de son emprisonnement présent; c’étaient d’autres démons qui l’entouraient, venaient le harceler. Il tournait et se retournait sur lui-même, étreignait sa paillasse avec les mains d’un naufragé sur le point de glisser vers des abysses sans retour. Il était tantôt saisi par le froid, tantôt par la fièvre, son teint perdait de sa couleur ou s’enflammait à mesure que l’obscurité continuait de l’envelopper, de le plonger dans l’oubli. Il n’avait plus d’autre horizon que ce réduit étouffant, ni d’autre sentiment que celui d’une chute infinie, qui réactivait avec plus de vigueur encore ce désarroi contre lequel, autrefois, il avait la force de lutter, mais qui désormais l’envahissait tout entier. La voix, cette petite voix intérieure qui lui serinait de tenir bon, allait sans cesse s’affaiblissant.
    Au matin, elle s’était tue.
    Pietro s’était de nouveau assis contre l’un des murs de sa cellule.
    Une ombre passa dans le couloir, à la lumière des torches. Pietro l’entrevit par la lucarne et, entendant le bruit des clés, crut d’abord qu’il s’agissait de Lorenzo Basadonna, qui lui apportait sa pitance dans une vulgaire gamelle de fonte, avec à l’appui une de ces plaisanteries de

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