Le piège de Dante
plus et dites-moi qui il fréquentait... Je sais qu’il avait une liaison avec Luciana Saliestri... Y avait-il quelqu’un d’autre ?
Aucune réaction. A l’évidence, Cosimo résistait. Viravolta choisit de s’y prendre autrement.
— Bien... Mon père... A votre connaissance, Marcello fréquentait-il des cercles dangereux ? Avait-il des ennemis ?
Le prêtre se passa la langue sur les lèvres ; les mots lui vinrent au bout de plusieurs secondes, il les prononça comme s’ils lui écorchaient la bouche.
— Les Stryges, dit Caffelli dans un souffle. Les Oiseaux de feu...
— Comment ? Les Oiseaux de feu ? De quoi parlez-vous ?
— Les Stryges, qu’ils nomment aussi les Oiseaux de feu... Cherchez-les.
— Je ne comprends pas, mon père. Est-ce...
— Non, non, c’est tout ce que je puis vous dire... Maintenant, partez... Laissez-moi seul.
Pietro posa une question, puis une autre; Caffelli ne répondait plus. Pietro entendit un frémissement. Il chercha à distinguer la silhouette du prêtre par la grille losangée. Puis il tira le rideau et sortit la tête du confessionnal. Les pas de Caffelli résonnaient dans le silence de l’église. Il s’enfuyait. L'une de ses mains était posée sur son bassin, il semblait légèrement courbé en avant, comme si son dos lui faisait mal.
Les Stryges , songea Pietro. Des êtres chimériques, sortes de vampires, à la fois femmes et chiennes, des légendes médiévales. Des créatures de ténèbres, liées aux puissances infernales... Et ce Diable, cette Chimère... Que pouvait bien signifier tout cela? Pietro resta longtemps à l’intérieur du confessionnal, perdu dans ses pensées. Il avait la désagréable impression que Caffelli en avait trop dit, ou pas assez.
Il n’obtiendrait rien de plus du prêtre pour le moment.
Il soupira et écarta le rideau du confessionnal pour sortir à son tour.
Il retourna enfin sur le parvis de San Giorgio, où l’attendait Landretto.
— Alors ? s’enquit le valet.
— Notre ami sait beaucoup de choses. Je ne serais pas surpris qu’il soit mêlé à tout cela d’une façon ou d’une autre. Il ne faudra pas le lâcher... Je saurai le faire ployer, tous ces hommes d’Eglise sont faibles. Et nous avons tous les deux des comptes à régler... Mais il me faudra tout de même un peu de tact en cette matière. Une chose est sûre : Marcello craignait pour sa vie. Et il semble que Caffelli craigne également pour la sienne... Dis-moi, Landretto, les Stryges, ou les Oiseaux de feu, cela te dit-il quelque chose ?
— Euh... Absolument pas.
— Je m’en doutais.
— Et sinon ?
— Sinon, figure-toi que d’après notre bon Cosimo, le Diable est sur Venise...
— C'est très fâcheux. Mais j’ai une autre information pour vous.
— Ah ? dit Pietro, debout devant la lagune.
Il essuya le revers de sa veste.
— Brozzi a envoyé l’un de ses hommes à notre recherche. Il a identifié la provenance des éclats de verre retrouvés dans les orbites de Marcello, et autour de son corps. Ils viennent de l’atelier de Spadetti, à Murano, ce qui ne vous surprendra pas. Spadetti est membre de la Guilde des verriers.
Pietro regarda le valet.
— Spadetti... en effet... l’un des maîtres de Murano. Bien, mon ami.
Ils s’avancèrent vers la gondole.
Le soleil se couchait, irisant Venise d’une lumière orangée.
— Nous irons au lever du jour. Mais ce soir, ô Landretto...
Il écarta les bras. Il était fatigué et tout cela lui pesait. Il ne pouvait plus différer le peu de bon temps auquel il avait droit. Ce ne serait pas renier son serment que de chercher quelques petits reconstituants.
Et après tout, il avait eu une procuration solennelle de Casanova.
Sois digne de moi, lui avait dit Giacomo, au sortir de la prison.
Pietro sourit et se tourna vers son valet.
— Ce soir, Landretto, je nous donne quartier libre. Revenons comme autrefois... Il est temps de mettre un terme à certaines tortures. Les crimes me dépriment, et les plus belles femmes du monde nous attendent. Andiamo, e basta !
Après le départ de Pietro, le père Caffelli resta seul à San Giorgio Maggiore, dont il avait fermé les portes. La nuit tombait, envahissant le lieu saint. Elle circulait entre les statues, recouvrait de son ombre le sol froid et poussiéreux. Quelques cierges étaient allumés au coeur de la nef. Cosimo se tenait à genoux devant l’autel, le visage dressé vers la terrible Descente de croix. A présent, on
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