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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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était heureux de ses retrouvailles avec Landretto : le valet redevenait le compagnon de beuverie qu’il avait toujours été. Les deux hommes étaient amis, bien que l’un fût au service de l’autre; et ce soir, les distinctions de rang s’effaçaient devant ce compagnonnage ressuscité. Pietro, d’ailleurs, n’avait jamais oublié qu’à l’origine il n’était lui-même qu’un gamin des rues rôdant dans San Samuele. Landretto, lui, n’était pas d’origine vénitienne. Né à Parme, il avait été très tôt orphelin de père, comme Viravolta, et sa mère était elle-même disparue quelque temps plus tard. Landretto avait erré longtemps sur les routes d’Italie, à la frontière de la mendicité et du brigandage. Quelques nobles désargentés l’avaient pris sous leur protection, à Pise puis à Gênes. Landretto aussi était un homme libre et Pietro savait qu’il avait plus d’un tour dans son sac. Rieur et d’apparence candide, il ne manquait pas moins d’un certain cynisme, hérité sans doute de son parcours chaotique. Landretto, sous ses dehors d’éphèbe naïf et échappé de la lune, savait calculer son intérêt et faire preuve, lorsqu’il le fallait, d’une grande sagacité. Il avait beau s’avouer de la plus vile extraction, il ne manquait pas de talent pour se faire entendre des puissants, et n’était pas étranger à la libération de son maître. Pietro savait qu’il avait tout essayé pour le sortir des geôles où il était enfermé. Emilio Vindicati lui-même avait fini par prêter l’oreille aux doléances sautillantes de ce garçon, si adroit et dévoué. Pietro soupçonnait ainsi Landretto d’avoir directement contribué à convaincre Emilio de lui confier une nouvelle mission de police, pour prix de son rachat.
    Le cercle vers lequel les deux hommes se dirigeaient maintenant, annexe de l’habitation principale des Contarini, comprenait des salons, des cuisines, des salles de jeu et de musique, mais aussi des chambres : c’était ici que, sur les instances de Vindicati, Viravolta et Landretto avaient élu domicile, pour six cents sequins, dans des appartements loués au cuisinier d’un ambassadeur anglais; et Pietro, qui connaissait l’endroit, ne pouvait que féliciter son mentor de ce choix. Arrivés sur place, ils jouèrent deux heures encore au rez-de-chaussée, à la suite de quoi s’engagea une discussion passionnée sur les mérites comparés de différents textes de l’Arioste, ce qui donna à Pietro l’occasion de briller par la récitation de quelques vers bien sentis. De nombreuses femmes se trouvaient là. Il n’était pas une minute pourtant où ne passait devant les yeux de Pietro le doux visage d’Anna Santamaria. A chaque mouvement de son coeur correspondaient mille questions, qu’il n’avait déjà eu de cesse de se poser. Où était-elle? Que faisait-elle? Pensait-elle à lui, l’aimait-elle toujours? Mais, outre l’interdit qu’Emilio avait fait peser sur lui, Pietro, dans l’incertitude où il était, refusait de céder à la souffrance lancinante qui revenait le harceler par vagues, et à la servitude même que lui causait cette obsession. Cela lui devenait intolérable. Il lui fallait se libérer. Crever l’abcès. Oublier ses doutes. Oublier... Avait-il d’autre choix que d’oublier cette femme, et de passer à autre chose ?
    Oh, Anna, Anna, me pardonneras-tu ?
    Lutter, il aurait pu lutter – mais comment, contre qui ?
    Laisse-toi aller.
    Ce soir-là, il but beaucoup.
    Allez, à toi, Giacomo.
    Au milieu des nobles présents ce soir-là, et masqués comme lui, se trouvait une jeune femme qui détonnait : Ancilla Adeodat, une métisse qu’un capitaine vénitien avait ramenée des anciennes colonies. Elle était d’une rare beauté, avec sa longue chevelure brune et bouclée, sa rose rouge dans les cheveux, sa peau café au lait, ses dentelles blanches et sa robe aux mille friselis. Pietro se souvenait d’elle pour l’avoir séduite autrefois, tout comme la mère et la fille Contarini d’ailleurs – les propriétaires de la maison de jeu. C'était bien avant Anna. Malgré le masque, Ancilla le reconnut aussi. Sans doute la fleur à sa boutonnière avait-elle suffi à le trahir aux yeux de la belle métisse ; car alors qu’ils traînaient dans le salon de musique, elle s’approcha de lui, le regard droit et déterminé. Et, caressant cette belle fleur sur son torse :
    — L'Orchidée Noire serait-elle sortie de prison ?

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