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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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n’entendait plus que son souffle, entrecoupé de plaintes, et d’un curieux sifflement. Cosimo Caffelli, les yeux voilés de larmes, implorait son Rédempteur. Il croyait parfois apercevoir des ombres, qui chuchotaient autour de lui. « Un théâtre d’ombres », aurait dit Marcello. Le prêtre n’osait fermer les paupières, car dans cette obscurité, des images lancinantes revenaient le harceler. Des images au parfum de soufre, jaillies du plus profond de son être, qui ne laissaient pas de le faire souffrir, lui infligeant des douleurs mortelles. Mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné? Aujourd’hui, l’Ennemi savait, il savait tout. Rien ne pouvait lui échapper. La bible était ouverte devant Caffelli, et sur une gravure, le Démon admonestait le Christ, l’invitant à le suivre, le visage tordu dans une grimace persiflante, une queue fourchue entourant ses pattes. Des nuées de créatures infernales volaient à ses côtés. Mais le mal n’était pas seulement là, à rôder autour de Cosimo. Il était en lui. Comme en tous les pécheurs. Cela n’avait cessé d’empirer, c’était devenu toujours plus effroyable, plus incompréhensible. Cosimo avait perdu la voie droite, il s’était égaré. Et bientôt, l’impensable serait révélé au monde, et il serait éclaboussé d’une honte sans nom – maudit à tout jamais, par Venise et par les hommes !
    Mon Dieu, je suis coupable! Oui, mon Dieu, j’ai péché! Pourquoi m’as-Tu abandonné?
    Et Cosimo Caffelli, dont l’ombre se découpait sur le sol de San Giorgio dans le reflet mouvant des flambeaux, continuait de s’appliquer sur le dos de cinglants coups de verges.

    Pietro et Landretto suivaient un codega , un porteur de lanterne bergamasque, avec lequel ils plaisantaient de temps à autre. Ils avaient commencé la soirée à l’auberge Au Sauvage et, déjà un peu éméchés, ils chantaient. Son Altesse Sérénissime et Emilio Vindicati avaient rempli copieusement leur bourse, pour les faux frais de la mission que Viravolta s’était vu confier; boire à la santé de la République avec les ducats du gouvernement rendait ces consommations deux fois plus douces à la gorge. La petite troupe croisait parfois une escouade des Seigneurs de la nuit, en robe noire, qui les apostrophait en les invitant à mettre une sourdine à leur tapage. Un seul regard sur le sauf-conduit du Doge, que Pietro présentait aussitôt, suffisait à ce qu’on les laisse en paix ; et de toute façon, depuis son altercation avec la petite bande de brigands qu’il avait croisée au sortir du théâtre San Luca, Pietro se sentait prêt à recevoir avec la courtoisie nécessaire quiconque s’aviserait de les contrarier. Ainsi, Landretto et lui glissaient-ils sur les pavés humides, manquant parfois de trébucher et se rattrapant l’un l’autre. Après le Sauvage, ils s’étaient arrêtés dans un débit de boissons, un bastione où l’on vendait du vin au détail; puis, pour se mettre en appétit, ils avaient enchaîné sur des biscuits, du raki, du ratafia de rose et de fleur d’oranger, de la malvoisie et des sorbets de lait parfumés. Un détour rapide par le café Florian, du côté des Procuratie , et ils s’étaient rendus dans une autre auberge, pour profiter cette fois d’un repas de roi : de la soupe et du mouton, quelques tranches de saucisses grillées, un chapon entier avec du riz et des haricots, des truffes, une ou deux cailles, de la ricotta et enfin, des zaletti con zebibo , galettes de maïs et de blé malaxées avec du beurre, du lait et des oeufs, puis garnies de dés de cédrats et de raisins secs. Réveillant d’anciennes amitiés, Pietro et son valet avaient ensuite filé au Ridotto, célèbre maison où l’on jouait au pharaon, au piquet, aux cartes ou aux dés. La chance était avec eux : ils avaient fait un joli bénéfice, au point de distribuer quelques sous aux femmes mystères de San Marco, mesdames les chevalières, procuratesses ou dogaresses d’une nuit, qui, blotties sous les arcades, appâtaient le chaland de leurs charmes. Ils avaient dansé avec elles au son des violons d’orchestre disséminés autour des Procuratie ; Pietro, qui n’avait pas touché un tel instrument depuis longtemps, s’était même essayé à un thème de Gabrielli, qu’il avait écorché vigoureusement. La lune était montée haut dans le ciel ; à présent, ils se rendaient dans un cercle privé, l’un de ceux qui fleurissaient à Venise.
    Pietro

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