Le piège de Dante
le front. Il mit les poings sur ses hanches et demanda à examiner encore le sauf-conduit, visiblement mécontent d’être dérangé. Une brève grimace passa sur son visage puis, résigné, il dit :
— Bon... Allez-y, je vous écoute.
Avec le geste d’un prestidigitateur, Pietro fit apparaître devant lui un mouchoir dans lequel reposaient quelques échantillons de verre retrouvés au pied du cadavre de Marcello, dans le théâtre San Luca.
— Vous serait-il possible d’identifier la nature de ce verre ?
Spadetti grimaça, se pencha sur le mouchoir et se gratta le menton.
— Vous permettez... ?
Pietro lui tendit le mouchoir. Le capomaestro prit quelques-unes des étoiles de verre, les examina avec attention, les soupesa au creux de sa paume; il alla quelques instants les comparer avec un éventail d’objets disposés non loin, sur un établi.
Puis il revint vers Viravolta.
— On dirait du cristallo , si j’en crois la limpidité du grain, le poids et le polissage. Oui, ça y ressemble bien...
— Nous pensons que ce verre pourrait bien être issu de votre atelier, dit Pietro. Qu’en pensez-vous ?
Spadetti le regarda et plissa les yeux. Il mit quelques secondes avant de répondre :
— C'est possible, Messer. Mais je ne suis pas le seul à produire ce verre, comme vous le savez. En l’absence de marque de fabrique particulière, je ne vois pas comment des morceaux si minuscules...
— Bien sûr, dit Pietro. Mais n’est-ce pas là votre spécialité, et n’êtes-vous pas le plus important producteur de cristallo ? Messer Spadetti, pourriez-vous déterminer de quel type d’objet proviennent ces débris ?
Spadetti, toujours penché sur le mouchoir, fut un moment tenté d’y plonger son nez. Il reniflait. Il détourna le tête, éternua puis, après un soupir las, se contenta de claquer la langue :
— Mmh... Ça ne vient pas d’un objet décoratif, je ne pense pas, Messer. Pas de coloration ni de filigrane, rien... Ce peut-être n’importe quoi, un verre, une coupe au détail, un vase, une statuette...
Pietro s’approcha d’un établi, situé un peu plus loin, où étaient disposés différents objets. Il laissa planer un silence, puis saisit l’un d’eux et le glissa sous les yeux de Spadetti.
— Et d’un objet comme celui-ci ?
Il s’agissait d’un élégant stylet de verre, à crosse de nacre, sur laquelle un serpent était enroulé autour d’une tête de mort.
— Euh... Oui, ça pourrait aussi, dit Spadetti. Dites-moi, Messer , que cherchez-vous au juste ?
Il était planté devant Pietro, les deux jambes écartées.
— Pourrais-je en avoir un ?
— Sûr. C'est deux ducats, dit le verrier.
— Je vois que vous ne perdez pas le nord, même quand il s’agit du Conseil des Dix.
— Surtout lorsqu’il s’agit des Dix, marmonna le capomaestro .
Pietro sourit, chercha la bourse à sa ceinture, la délia et tendit les deux ducats à Spadetti, qui lui remit le stylet en échange.
— Dites-moi, mon ami, avez-vous déjà entendu parler des Stryges ?...
— Des quoi ?
Pietro se racla la gorge :
— Des Stryges, ou des Oiseaux de feu ?
Il resta une seconde suspendu aux lèvres de Spadetti.
Celui-ci le considéra d’un oeil torve.
— Non.
— Bien... Hem. Voilà qui a le mérite d’être clair.
L'Orchidée Noire s’écarta de nouveau quelques instants, avançant d’un poste à l’autre de l’atelier, les mains dans le dos. Il sifflotait.
— Sans vouloir vous manquer de courtoisie, Messer , est-ce tout? J’ai du travail.
Pietro était tombé en arrêt devant une pièce de toute beauté, sur laquelle travaillait un jeune homme. La chose était en effet singulière : c’était une robe, d’un seul tenant, disposée comme elle eût pu l’être sur un mannequin de bois. Mais cette robe n’avait rien d’ordinaire. Surmontée d’une collerette en verre filé, elle était uniquement composée de langues de cristal, noyée de mille arabesques translucides qui s’échangeaient des reflets multicolores, autour de la poitrine, de l’abdomen, jusqu’à ce drapé ondoyant que simulait une nouvelle profusion d’ourlets et de dentelles opalescentes. Une robe de cristal! Au niveau de la taille, une boucle en étoile fermait une ceinture de perles étincelantes. Le sifflement de Pietro se fit admiratif.
— Magnifique, maestro ...
Spadetti s’approcha, une fierté nouvelle dans le regard. Il se détendit un peu et changea de ton.
— C'est le chef-d’oeuvre
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