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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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Vindicati lui avait bien dit qu’il se tiendrait au courant de ses agissements d’une façon ou d’une autre. Autant pour « encadrer » sa conduite, sans doute, que pour lui prêter main-forte en cas de nécessité. Peut-être... Peut-être le faisait-on filer, lui aussi? En tout cas, il fallait rester sur le qui-vive. Pietro resta immobile quelques secondes, puis répondit vaguement un : « Rien, il n’y a rien » à Landretto, avant de continuer sa marche.
    Une proue de bois enroulée en spirale, deux flèches de tissu échappées d’un chapeau, comme une langue bifide, la voix du passeur poussant sa ritournelle...
    Ils étaient à quai.
    A présent, la barque filait au milieu du néant. Pietro n’entendait que le clapotis de l’eau, à mesure que le passeur avançait en direction de Murano ; il fallait à ce dernier toute son attention et son expérience pour se diriger autrement qu’au jugé. A côté de Viravolta, Landretto claquait des dents sous le froid ; il semblait plongé dans ses pensées. En quittant les abords de la place Saint-Marc, ils devinaient encore la silhouette des bâtiments qui l’entouraient; mais, très vite, ils s’étaient fondus dans ce songe invisible et nauséabond au milieu duquel ils voguaient encore à présent. A un moment, ils croisèrent un autre esquif, qui cherchait sa route en sens inverse. Un homme encapuchonné tenait d’une main décharnée une lanterne, à la proue du bateau; il échangea quelques mots avec son confrère avant de disparaître. Plus loin, ils contournèrent la masse funèbre de San Michele, qui s’effaça à son tour. Un parfum de mystère flottait dans l’air, comme si la nature, en sa trouble somnolence, avait décidé de préparer les esprits à quelque nouvelle apocalypse. Elle bâillait de mille rêves magiques, mais d’une magie noire, obscurément menaçante, qui rampait au fil des eaux, entre les pilotis dont on apercevait, ici et là, la tache d’ombre perdue sur la lagune. L'atmosphère irréelle donnait soudain l’impression à Pietro qu’ils avaient quitté la terre pour un autre monde, indicible, inquiétant.
    Pietro songeait à l’épisode de la nuit passée ; il n’en avait pas encore parlé à Landretto. A la vérité, il se demandait si tout cela n’avait pas été le fruit de son imagination. Non, pourtant : c’était bien Caffelli qu’il avait vu, cela ne faisait aucun doute. Il avait gardé le billet avec lui, le Menuet de l’Ombre : il faudrait le montrer à Brozzi, peut-être la Quarantia saurait-elle identifier la nature du papier et de l’encre utilisés. Inlassablement, les images de la veille revenaient danser dans son esprit. Le prêtre de San Giorgio n’en était sûrement pas à sa première sortie nocturne... Voilà qui était pour le moins risqué. Pietro avait lui-même renoncé à la tonsure, autrefois, pour profiter des plaisirs que procuraient les femmes du monde : il en avait vu d’autres, à Rome même, et un personnage tel que lui eût été mal placé pour sermonner Caffelli. Mais indéniablement, en agissant ainsi, Cosimo jouait gros. Vertige de la chair... Lui! Le prêtre de San Giorgio Maggiore ! Quelle folie! En tout cas, l’idée qui avait effleuré Viravolta, selon laquelle Caffelli avait pu nouer avec Marcello des relations particulières, risquait fort d’être fondée. Pietro connaissait trop les hommes pour ne pas savoir qu’ils étaient aussi le produit de leurs frustrations, de leurs joies, de leurs peines, de leurs errances passées. Mais l’attitude de Caffelli révélait un sérieux malaise. Et ses paroles revenaient maintenant danser dans l’esprit de Pietro.
    Santa Madonna... J’ai prié, jour et nuit, en espérant que cela n’arriverait pas... Quelle honte, Seigneur... Pourquoi a-t-il fallu que les choses soient ainsi ? C'est allé de pire en pire... Marcello était un garçon qui méritait la vie... Il était...
    Marcello, hanté par le péché – comme Caffelli, sans doute. On le serait à moins. Voilà qui les avait rapprochés. L'un traître à sa nature, l’autre à sa foi. Une amitié profonde avait pu se sceller dans ce désarroi mutuel. Rien d’autre que la compréhension de la souffrance éprouvée par l’un et l’autre. En dehors même du problème politique qui se dessinait, ce point commun avait pu servir de terreau à leurs confidences. Deux hommes doubles, déchirés, à la fois mal-aimés et trop aimés, condamnés au secret de leurs jouissances

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