Le piège de Dante
Tous les péchés capitaux s’y trouvaient rassemblés, en une typologie savante, que le talent du poète avait su rendre vigoureusement expressive.
— PREMIER CERCLE — Les Limbes – Esprits vertueux non baptisés, sans autre peine que le désir éternellement insatisfait de voir Dieu.
— DEUXIÈME CERCLE — Luxurieux, emportés par l’ouragan infernal.
— TROISIÈME CERCLE — Gourmands, couchés dans la boue sous une pluie noire et glaciale.
— QUATRIÈME CERCLE — Avares et Prodigues, roulant des rochers en s’injuriant mutuellement.
— CINQUIÈME CERCLE — Coléreux, immergés dans les eaux bourbeuses du Styx.
— SIXIÈME CERCLE — Hérétiques, couchés dans des tombes brûlantes.
— SEPTIÈME CERCLE — Violents contre leur prochain, plongés dans un fleuve de sang bouillant. Violents contre eux-mêmes : Suicidés, changés en arbres qui se parlent et se lamentent; Dissipateurs, déchirés par des chiennes. Violents contre Dieu, couchés sur le sable sous une pluie de feu. Violents contre la Nature (Sodomites), courant sous la pluie de feu. Violents contre l’Art (Usuriers), assis sous la pluie de feu avec leurs armoiries pendues au cou.
— HUITIÈME CERCLE — Fraudeurs : Séducteurs et Ruffians fouettés par les diables. Adulateurs, plongés dans le fleuve de merde. Simoniaques, Mages et Devins, Trafiquants et Concussionnaires, Hypocrites, Voleurs des choses de Dieu, transformés en serpents ; Conseillers perfides, enveloppés de flammes ; Fauteurs de schismes et de discorde, Alchimistes, couverts de gale et de lèpre ; Falsificateurs de personnes, de monnaies, de paroles, s’entre-dévorant au milieu de fièvres ardentes.
— NEUVIÈME CERCLE — Traîtres à leurs parents, leur patrie, leur parti, leurs hôtes, leurs bienfaiteurs, envers l’autorité humaine ou divine : tous plongés dans la glace. Les plus coupables sont dévorés par Lucifer.
Pietro porta la main à sa tête. Il songea à Marcello, l’acteur crucifié entre les rideaux rouges du théâtre San Luca ; au confesseur de San Giorgio, suspendu à son chapiteau sur la façade de l’église, au milieu de la tempête. Il prit une profonde inspiration. Son intuition avait été la bonne. Il touchait à présent du doigt quelque chose d’interdit. Mais il se sentait manipulé, et à mesure qu’il en prenait conscience, une sourde et funèbre inquiétude grandissait en lui. Il Diavolo avait mené ses pas jusqu’ici, comme une main souveraine l’eût fait d’un vulgaire pantin de bois; l’Orchidée Noire dansait au bout de ces fils et son tempérament indépendant ne pouvait guère s’en accommoder. Inutile de se bercer d’illusions : l’ Inferno était sans doute le principe organisateur de l’énigme elle-même, mais cette découverte ne devait rien à sa sagacité personnelle. Elle était le fruit d’une volonté supérieure, qui invitait Pietro à un jeu, un rébus aux relents de sombres maléfices. Voilà qui ne lui disait rien de bon. Ses yeux guettaient maintenant le fil des lignes manuscrites, auxquelles ils venaient s’accrocher avec la plus sinistre attention. Marcello crucifié...
Dans le Premier Cercle, les Limbes, Dante relatait la descente du Christ aux Enfers.
« Descendons à présent dans le monde aveugle »,
commença le poète en pâlissant,
« Je serai le premier, toi le second ».
Pietro éprouva un nouveau choc, lorsqu’il eut la confirmation définitive que ses soupçons étaient bel et bien fondés.
J’étais nouveau dans cet état
Quand je vis venir un puissant,
Que couronnait un signe de victoire.
Le doute, ainsi, n’était plus possible. Il s’agissait des vers retrouvés sur le torse lacéré de Marcello ! Brozzi avait pensé qu’il s’agissait de versets bibliques, mais il n’avait pu en découvrir l’origine exacte; quant au sénateur Giovanni Campioni, il était convaincu de les avoir lus, mais où? Pietro avait la réponse sous les yeux. Dans l’ Inferno de Dante. Ces mots n’étaient pas tirés de la Bible, mais d’un monument de la littérature humaniste, dont leur ennemi s’était directement inspiré. Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt ?
Dans le Premier Cercle, Dante croisait Homère, Horace, Ovide et les poètes antiques ; mais aussi les empereurs et les philosophes, Socrate, Platon, Démocrite, Anaxagore et Thalès, Sénèque, Euclide et Ptolémée. Des hommes illustres, d’art et de science, dont le seul péché était de n’avoir pas
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