Le piège de Dante
sait que je suis libre !
Une demi-heure plus tard, à peu près remis de cette émotion inattendue, Pietro usait de son sauf-conduit pour se faire introduire sous les lambris de la collection privée Vicario.
Il lui fallait se concentrer de nouveau et reprendre le fil de son enquête.
La bibliothèque de Vicario comportait, au dire de son propriétaire – un noble du Grand Conseil, tout de morgue et de condescendance – la bagatelle de quarante mille manuscrits, répartis sur deux étages. Elle était assez emblématique de l’essor intellectuel et artistique qu’avait connu Venise quelques décennies plus tôt. Au temps de l’Age d’or, les courants picturaux s’étaient développés de manière florissante, notamment au contact de l’humanisme de l’Université de Padoue et de l’école du Rialto, qui enseignaient la philosophie et la logique aristotéliciennes; les imprimeries, dont celle d’Alde Manuce, avaient fait de la ville le plus grand centre international du livre. Au sein de l’ Accademia Aldina se côtoyaient historiens et chroniqueurs, qui collectionnaient les manuscrits, parlaient grec et écrivaient en latin, correspondaient avec tous les humanistes d’Europe et constituaient des cénacles érudits. Mais comme l’avait suggéré Ugo Pippin, la collection Vicario avait des particularités bien à elle.
L'endroit ne manquait pas de fasciner le visiteur. Il était très haut de plafond, avec des étagères de bois sombre et lustré, des échelles disséminées au pourtour de multiples colonnes de livres, dont les tranches, tantôt brunes, tantôt vertes ou rouge et or, s’alignaient comme d’interminables serpents tout le long des murs. Les deux étages, dépendances de la famille Vicario, comptaient chacun quatre pièces destinées aux ouvrages les plus précieux, dont la consultation était d’ordinaire réservée aux seuls membres et amis de la dynastie. En leur centre, toutes les salles étaient occupées par une table de travail où l’on pouvait lire ou étudier à loisir. Dans le fond, une fenêtre sans balcon donnait sur les canaux de Canareggio. Quelques rayons venaient s’échouer en travers du parquet, depuis une verrière en forme de rosace qui trouait le plafond.
La Libreria Vicario devait sa réputation au choix et à la nature bien précise des trésors qu’elle renfermait. En effet, féru d’ésotérisme et de sciences occultes, Andreas Vicario avait rassemblé là tous les livres possibles et imaginables traitant de ces sujets, qu’ils fussent rédigés en italien, en latin, en grec ou dans n’importe quelle autre langue européenne : obscurs traités transylvaniens, récits horrifiques du Moyen Age et de la Renaissance, recueils de contes immoraux, bréviaires sataniques, précis d’astrologie, de numérologie et de cartomancie – que Pietro connaissait un peu pour avoir pratiqué, avec un certain sens du charlatanisme, les différents arts divinatoires – bref, la collection Vicario sentait le soufre.
A présent, Pietro, qui avait demandé la permission de rester seul en ce lieu étrange, cheminait au hasard parmi les colonnes de livres. Il finit par se saisir de l’un d’entre eux, ôta le bouton d’un étui de maroquin violet et en sortit un vieux manuscrit, dont le papier jauni fleurait déjà l’ancien. Travestifuges, du comte Tazzio di Broggio, un Parmesan. Pietro n’en avait jamais entendu parler. Curieux, il ouvrit le livre et le feuilleta rapidement.
Elle s’accroupit au-dessus de lui et, tout en continuant de le branler, elle se libéra du fardeau qui encombrait ses flancs. Un sourire de soulagement sur les lèvres, elle lui chiait dans la bouche tout ce qu’elle pouvait, tandis que Dafronvielle était sodomisé par M. de M***. Puis ce fut le tour de...
— Je vois, dit Pietro, parlant tout seul.
Il passa ses longs doigts sur ses lèvres. L'une de ses bagues étincela sous un bref rai de lumière. Certes, on l’avait mis en garde; mais décidément, il y avait dans cette Libreria des lectures bien inattendues. Pietro se décida à entamer sérieusement sa recherche. Au sommet de ces escabeaux de bois luisants, il n’était pas une étagère qui ne fût remplie de perles insolites. C'était ici la grotte d’un mauvais génie, le gouffre, peut-être, des passions humaines, passées soudain de l’autre côté du miroir, aventureuses, testant leurs limites au-delà même de l’écoeurement, exploitant le pouvoir des mots, qui
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