Le piège de Dante
Elle avait ajouté un voile diaphane autour de son cou. Au bout de quelques instants, elle jugea que, finalement, elle n’avait pas envie de jouer. Allons ! J'ai d’autres idées en tête. Elle se leva et n’eut qu’un geste à faire pour que la robe glisse doucement à ses pieds. Le voile ondoya sur le secret de sa poitrine, dont Pietro devinait maintenant la couleur laiteuse et les délicates aréoles. Luciana était une fleur, oui, dont le doux pistil demeurait caché, et dont la corolle allait s’épanouissant sous ses yeux. Il n’était pas étonnant que le sénateur Campioni fût tombé amoureux d’elle. Elle monta l’une de ses longues jambes sur la table basse où Pietro avait posé sa tasse de café, dispersant au passage les dominos. Viravolta examina le galbe de cette cuisse avec délices; mais il n’avait guère de temps pour la bagatelle. Il est vrai que celle-ci eût pu faire partie de son plan, et lui permettre d’obtenir des informations en usant d’armes moins déplaisantes que les pistolets, l’épée ou l’arquebuse. Mais, depuis sa première entrevue avec Luciana, bien des choses avaient changé. La veille au soir, Landretto était venu retrouver son maître. Dehors, la pluie était tombée. L'Orchidée Noire se souvenait des yeux clairs et du front échevelé de son valet, lorsqu’il avait ôté son galurin pour lui dire : « Anna Santamaria est jalousement surveillée par son mari, dans leur villa de Santa Croce... Elle sait que vous n’avez toujours d’yeux que pour elle : je lui ai donné la fleur... »
Oui : à présent, Anna Santamaria était à portée. Pietro n’avait plus qu’un geste à faire. Et en dépit de l’interdit qui pesait sur lui, il se sentait prêt à tout pour la revoir.
La voix claire de Luciana, à la fois aguichante et moqueuse, vint souffler à ses oreilles :
— Que pensez-vous de mes chaussures, Pietro ? Voulez-vous que je les garde?
Pietro ne répondit pas.
— J’ai mis pour vous l’une de mes plus jolies robes, le savez-vous ? On me dit coquette, à Venise. Mais je ne suis pas comme celles qui vous attrapent par le tabarro sous les Procuratie , mon doux seigneur. Mes bustiers ne cachent point de renfort de mousse et je ne cale pas de coussinet sous mes jupes, comme elles le font, pour corriger leurs défauts... Je ne porte pas de postiches et me suis débarrassée de toutes mes frisures. Mes cheveux vous plaisent-ils ainsi? Attendez que je les dénoue...
Ce qu’elle fit d’un geste expert. Sa chevelure tomba en cascade sur ses épaules et, comme par accident, le foulard chut à son tour. Elle ramena les mains sur ses seins, mimant une pudeur qu’elle n’avait pas, puis les écarta lentement.
Les mamelons n’étaient qu’à quelques centimètres du visage de Pietro.
— Les emplâtres, les andriennes et les paniers, le fard grossier, je laisse tout cela à celles dont la beauté a besoin d’artifices. Je m’offre les plus belles toilettes, en rendant grâces chaque fois à mon défunt mari, cela est vrai. Paix à son âme! Vous le savez, le pauvre ange avait le sens du négoce et de l’argent. Il en oubliait parfois toute raison. Moi, c’est l’inverse : j’ai un goût infaillible pour d’autres sortes de commerce, que je n’ai pas le coeur de me refuser. A quoi peut me servir ma fortune, si ce n’est à me rendre plus désirable? C'est qu’au fond, je me suis toujours trouvée bien mieux... en liberté. Alors, sitôt que les ducats atterrissent dans mes mains, hop ! je les dépense. Je les fais disparaître. J’ai pour cela un obscur talent de magicienne... Et j’attends de puiser à nouveau dans le petit trésor que m’a laissé mon cher époux! Un saint homme, finalement...
Elle venait de renverser et de hocher la tête, en posant ses deux mains sur les épaules de Viravolta. Elle faisait mine, maintenant, de se frotter contre lui en ondulant du bassin. Il était toujours assis, et elle debout.
— Voulez-vous vérifier ?
— Vérifier quoi ? demanda Pietro.
— Vérifier ce que je vous ai dit, au sujet des coussinets.
Ce disant, elle laissa glisser ce qui lui restait de vêtements et se retourna. Pietro eut sous les yeux ses hanches et la plus somptueuse, la plus belle, la plus veloutée des paires de fesses qu’il eût jamais vue.
— Vous voyez ? Tout au naturel.
La Vénitienne avait achevé son effeuillage. Elle pivota de nouveau vers lui. Ils se regardèrent en silence. Pietro, non sans une certaine
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