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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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la bouche ouverte comme celle d’un poisson mort. Les pierres qui l’avaient entraînée étaient restées dans le limon. Des gondoles noires se croisaient sur le canal ; vaisseaux funèbres et silencieux. Sur l’un des murs de la chambre où Pietro avait surpris l’agresseur, on avait retrouvé la rituelle inscription, qui disait, cette fois :
    Tous ils furent borgnes
    Dans leur esprit durant leur vie, de sorte
    Qu’ils n’eurent aucune mesure en leur dépense.
    Luciana, Luciana dont la fortune passait entièrement dans les toilettes nécessaires à la vente de ses charmes, cette fortune héritée de son mari, marchand de tissus célèbre en son temps pour sa ladrerie – tout comme Pantalon, la figure allégorique des scènes de théâtre. La voix chantante de la jeune femme résonnait encore aux oreilles de Pietro. Paix à son âme ! avait-elle dit à propos de Messer Saliestri, son époux, dont elle dilapidait le glorieux héritage. Vous le savez, le pauvre ange avait le sens du négoce et de l’argent. Il en oubliait parfois toute raison. Moi, c’est l’inverse : j’ai un goût infaillible pour d’autres sortes de commerce, que je n’ai pas le coeur de me refuser. Elle qui toujours avait voulu être libre, elle dont la fraîcheur et la jeunesse avaient tourné la tête du sénateur Giovanni Campioni et de tant d’autres, se retrouverait bientôt six pieds sous terre, avec les vers pour compagnie. Une autre sorte de prodigalité de la chair.
    Abattu, Pietro se tenait assis contre le mur, à quelques mètres de l’entrée principale de la villa Vicario, Landretto avec lui. De son côté, Emilio Vindicati s’entretenait avec le maître de maison et, déjà, ses agents, épuisés, étaient sommés de retrouver chacun des invités du banquet. Pietro était convaincu que cela ne les mènerait pas plus loin que leurs maigres « pistes » précédentes.
    Luciana. Ephémère Domino. Assassinée. Un meurtre de plus.
    Pietro n’était plus en état de réfléchir. Il regrettait de ne pas avoir gardé la courtisane auprès de lui. Plus encore : il l’avait sans doute mise en danger, à vouloir jouer les sergents recruteurs. Et à l’idée qu’une telle chose eût pu arriver à Anna Santamaria – elle pouvait encore arriver – il sentit ses sangs se glacer. Assez, maintenant! Il fallait absolument avertir Emilio de ce qu’il avait découvert dans le bureau d’Octavio. Pietro culpabilisait. Luciana n’avait pas mérité cela. Cette mort aurait pu être évitée. Si Pietro avait eu davantage de présence d’esprit, s’il avait parlé plus tôt... Il avait envie de vomir, de pleurer. L'ambassadeur, quant à lui, s’était endormi entre les bras de ses Vénitiennes, heureux comme un pape, assommé par ses exploits et par l’alcool. Il n’avait rien entendu de tout ce remue-ménage. A un moment, il était apparu sur le perron de la villa, vaguement remis, dans son costume de paon, les yeux chassieux ; il avait eu juste le temps d’assister aux manoeuvres de sauvetage du corps et s’était mis à pousser de petites exclamations effarées, avant qu’Emilio ne fasse mine de le rassurer et ne le renvoie, avec force valets et sous bonne escorte, vers les appartements officiels de sa résidence à Venise. Un rude coup pour les bonnes manières diplomatiques ! Mais Vindicati saurait bien trouver une explication et l’ambassadeur se laisserait persuader que tout cela n’était pas si terrible. Le peintre, lui, avait disparu dans la nuit. Sans doute s’était-il éclipsé pour aller se coucher.
    Les Oiseaux de feu poursuivaient leur vaste entreprise ; et alors que tous les yeux étaient braqués sur Pierre-François de Villedieu, c’était Luciana que l’on avait tuée. Au train où allaient les choses, le sénateur Giovanni Campioni avait toutes les chances d’être le prochain sur la liste. Et jusqu’à présent, les partisans du Doge avaient toujours eu un temps de retard, à commencer par Pietro. Il Diavolo les promenait à sa guise. Mesurer les échelons et les pénitences associés aux différents cercles dantesques ne suffisait pas à deviner l’identité des futures victimes. A ce jeu, les Dix risquaient d’être toujours perdants. L'Orchidée Noire glissa une main dans la poche de son manteau pour jeter un oeil à sa dernière trouvaille. Il avait pris le temps de fouiller son « fantôme ». Ramiel, de l’ordre des Trônes. Pietro n’avait rien trouvé; rien, sinon... cette carte

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