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Le piège

Le piège

Titel: Le piège Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuel Bove
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d’autant plus qu’une telle mesure implique la
désignation d’un remplaçant.
    Quelques jours s’écoulèrent encore sans que
rien de nouveau ne parvînt à la connaissance des prisonniers. Une journée
entière se passa même sans qu’on parlât de l’officier allemand tué. Mais tout à
coup, les mêmes bruits se remirent à courir, beaucoup plus précis qu’avant. À
Clermont, dans la même nuit, un colonel allemand et un simple soldat avaient
été assassinés. Si les coupables ne se faisaient pas connaître dans les
vingt-quatre heures, quinze otages seraient désignés et fusillés.
    Cette nouvelle fit une telle impression sur
Bridet qu’il sentit une colère folle l’envahir contre Yolande. Il avait besoin
de s’en prendre à quelqu’un. Cette femme était vraiment une criminelle. C’était
par sa faute à elle qu’il était ici. Pourquoi, puisqu’elle prétendait qu’il
était libéré, ne s’était-elle pas occupée de lui, n’avait-elle pas activé les
formalités ? Il ne lui avait pourtant pas caché les dangers qu’il courait.
Il lui écrivit sur-le-champ une lettre, mais il se laissa aller à tant d’écarts
de plume, qu’il n’osa la confier au vaguemestre. Justement un certain Baumé,
plus heureux que Bridet, car on s’occupait de lui au moins, devait quitter le
camp le soir même. Bridet lui remit sa lettre. Il lui demanda d’aller voir
Yolande, de lui parler, de lui raconter ce qui se passait. Écoutant son mari à
travers un inconnu, elle serait plus accessible.
    L’après-midi sembla interminable. Les
conversations ne roulaient que sur cette désignation d’otages. Si on en prenait
quinze, cela faisait que chacun avait à peu près une chance sur vingt d’être du
nombre. Vers cinq heures, il eut l’occasion de boire une bouteille de vin avec
un camarade. N’y avait-il pas de l’exagération dans toutes ces rumeurs ?
Le temps où les autorités du camp avaient déclaré qu’il ne serait jamais
procédé à une désignation d’otages n’était pas si loin. Elles n’avaient pu se
dédire si rapidement. Et puis, avait-on seulement la certitude que cet officier
avait été tué, en tant qu’Allemand ? D’après certains bavardages, il avait
été tué par le mari d’une femme qui l’avait surpris chez lui. Il s’agissait en
réalité d’un drame passionnel. On ne pouvait fusiller quinze hommes parce qu’un
mari avait tué l’amant de sa femme. Quant au soldat, il était ivre. C’était au
lendemain d’une bagarre entre soldats allemands qu’on avait retrouvé son corps
devant l’Alcazar.
    Bridet s’étendit sur son lit. Tous ses
compagnons de chambrée étaient là. C’était l’heure où ils jouaient aux cartes,
mais ce soir-là ils ne faisaient que parler. Bridet aurait voulu être seul, ne
voir personne. Il ne croyait pas encore que des otages seraient désignés, mais
en 39, il n’avait pas cru non plus à la guerre. Il croisa ses mains derrière sa
nuque. On ne peut fermer les oreilles comme on ferme les yeux. Il souffrait d’entendre
répéter sans arrêt ce qu’il avait entendu toute la journée. Ce qu’il y a de
plus accablant dans les moments tragiques de la vie, c’est le désarroi de ceux
qui nous entourent. Nous sommes arrivés, à force de volonté, à chasser de notre
esprit tout ce qui peut nous incliner à la peur. Et voilà que nous sommes
entourés de gens qui n’ont pas fait notre effort. Bridet ne put les entendre
parler davantage. Il alla s’isoler derrière un pavillon. Une demi-heure plus
tard, comme il revenait, il rencontra Baumé. « Je ne pars pas », dit
celui-ci en rendant la lettre à Bridet. Il était pâle. Ses mains tremblaient
légèrement. On venait de lui annoncer que son départ était ajourné.
    Cette nouvelle frappa tellement Bridet que,
quelques minutes après, quand il chercha sa lettre, il ne la trouva pas tout de
suite. Il l’avait pliée en quatre et glissée au fond de ses poches. L’étreinte
se resserrait. Si on suspendait le départ d’un homme dont les papiers étaient
prêts, comment Bridet pouvait-il encore compter sur sa libération. Des ordres
arrivaient visiblement de l’extérieur. Le capitaine Lepelletier et ses
lieutenants n’étaient plus que des exécutants.
    Mais un grand choc comme celui-ci nous
éclaire. Quand nous sentons que notre vie peut nous être ôtée, nous faisons un
retour sur nous-mêmes et nous comprenons qu’il n’y a qu’une seule chose capable
de nous rendre

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