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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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la plupart des cas, ils retournèrent, contraints et forcés, à la condition d'esclave. Les Noirs qui s'étaient le plus mal conduits furent châtiés sans merci par les nouveaux citoyens américains, tandis que les vaisseaux anglais recueillaient les familles loyalistes menacées et les transportaient jusque dans nos îles avec leurs esclaves et ce qu'elles avaient pu sauver de leurs biens.
     
    – C'est donc ainsi qu'arrivèrent dans l'archipel esclavagistes et esclaves, constata Charles, s'adressant au major qu'il estimait plus à l'aise pour commenter ce sujet.
     
    – Pas de quoi être fier, penserez-vous ? Vous aurez raison. Mais il faut savoir que les Cornfield, même s'ils n'y résidaient pas encore, étaient propriétaires de Soledad depuis 1667, donc bien avant l'arrivée des loyalistes. On sut très vite dans l'archipel que lord Maxence Cornfield, le grand-père de Simon, venu s'établir ici en 1782, accueillait les esclaves marrons au grand dam des planteurs qui les avaient transportés du continent. Au cours des années suivantes, des propriétaires d'esclaves, parfois accompagnés d'hommes armés et de chiens spécialement dressés à poursuivre les Noirs en fuite, débarquèrent ici pour exiger la restitution de leurs nègres fugueurs. Ils furent toujours fort mal reçus par lord Maxence et ses Arawak qui brandissaient arcs, lances et javelots, rapporta le major.
     
    – Et c'est encore ainsi que je recevrai les esclavagistes d'aujourd'hui, même si mon cousin Bertie III se trouve à leur tête ! dit lord Simon, déterminé.
     
    Charles Desteyrac serra avec plus de chaleur que d'habitude la main que le maître de Soledad lui tendit quand vint l'heure d'aller dormir.
     
    Si la colère du lord à l'encontre d'Ottilia, de qui il partageait la détestation de l'esclavage, était oubliée dès le lendemain, un nouvel événement la ranima trois jours plus tard. Un journal de Boston daté du 5 juillet, mais que le bateau-poste de Nassau ne délivra à Soledad que le 25 du même mois, apporta enfin des nouvelles de lady Ottilia.
     
    Lord Simon apprit ainsi que sa fille avait participé à une réunion féministe à Hartford (Connecticut), ville où vivait Harriet Beecher-Stowe, auteur de la Case de l'oncle Tom , roman antiesclavagiste un peu geignard, mais plein de bons sentiments, publié en 1852, qui connaissait un immense succès dans les États du Nord et en Europe.
     
    La réunion de Hartford avait été organisée, le jour anniversaire de l'Indépendance des États-Unis, par Amelia Jenkins Bloomer, protestante et socialiste, fondatrice en 1849 du journal pour femmes The Lily 1 . Edward Carver mit la feuille bostonienne sous les yeux de Charles. Le journaliste américain écrivait : « Une ravissante jeune lady, miss Ottilia Cornfield, anglaise, fille unique de lord Simon Leonard Cornfield, armateur, magnat des chemins de fer de l'Ouest, filateur de coton à Manchester, businessman et aristocrate estimé de la reine Victoria, dont la famille est propriétaire, depuis Charles II d'Angleterre, d'une île dans l'archipel des Bahamas, est une zélatrice du mouvement des Bloomers . Ces dames et demoiselles ont décidé de s'habiller à la turque afin de montrer que les femmes américaines sont, comme chez les Turcs, les esclaves de leur mari. Leur tenue orientale : corsage de soie de couleur vive, manches de mousseline, jupe au mollet passée sur un large pantalon bouffant de même tissu que le corsage, ne manque ni de charme ni d'élégance, surtout à cause de la transparence des tissus utilisés, de l'absence de corset et de brassière. Ce costume sied particulièrement bien à lady Ottilia Cornfield, que les dessinateurs des magazines croquent à plaisir. Les autorités de Providence, dans le Rhode Island, n'ont pas, comme nous, goûté le charme de ces toilettes. Lady Ottilia et son amie miss Johnson, toutes deux militantes bloomerist , ont été interpellées par des policiers, conduites devant un juge qui leur a infligé vingt dollars d'amende sous prétexte qu'elles tentaient de dissimuler leur sexe en se faisant passer pour des hommes. »
     
    – Quand il a lu ça, Simon a failli avoir une syncope. On s'attend à ce que The Nassau Guardian reprenne cet article, qui fera sursauter tous les puritains, nombreux dans l'archipel et souvent critiques envers les mœurs jugées trop libres des Cornfield, dit Carver, consterné.
     
    – Qui est Amelia Jenkins ? demanda Charles,

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