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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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poignets par des volants froncés, ajoutait à la mélancolie et à la fragilité à la fois physique et morale de la mère de Lamia.
     
    – Je trouve ce portrait émouvant. Le peintre, avec pudeur, donne à comprendre que cette belle femme porte en elle un chagrin dont rien ne saura jamais la distraire, dit Desteyrac.
     
    – Après la mort de mon père, elle n'espérait plus que sa propre fin ; elle guettait l'annonce du trépas, comme sur ce tableau. Ma mère n'attendait plus la sérénité que de la mort. Mais il me plaît que vous l'aimiez ainsi que je la vis dans mon enfance, dit Lamia, émue.
     
    Le homard dégusté avec toute la considération que méritait un tel plat, la sœur de Cornfield, au courant des aventures et mésaventures de sa nièce Ottilia, interrogea Charles sur les réactions de lord Simon.
     
    – Il prend assez mal la chose, mais, en même temps, je crois qu'il admire l'audace et la détermination de sa fille, aussi bien quand elle s'en prend aux esclavagistes que lorsqu'elle manifeste, déguisée en dame turque, pour l'émancipation des femmes. Je me demande même s'il ne considère pas la désobéissance comme une particularité aristocratique. Toutefois, connaissant fort peu lady Ottilia, qui, lors de nos brèves rencontres à bord du Phoenix , ne m'a pas manifesté beaucoup de sympathie, je ne saurais en dire plus.
     
    – Mieux vaut ça, cher monsieur, car Ottilia a le don d'attirer pour ne pas retenir, fit Lamia.
     
    – En France, nous appelons ce genre de femmes des coquettes, madame.
     
    – Ah, ma nièce est un cas à la fois plus complexe et plus ambigu ! Savez-vous que son père l'obligeait à apprendre par cœur et à réciter sans faute la liste des rois et reines d'Angleterre, ce qu'elle faisait avec fierté ? En revanche, quand on lui demandait ce qu'elle souhaitait devenir quand elle serait grande, elle répondait, au grand scandale de qui l'interrogeait : « Je veux être comme Ann Bonny. »
     
    – Ann Bonny ?
     
    – Je vois que ce nom ne vous dit rien, mais tous les habitants de la Caroline du Sud et de l'archipel connaissent l'histoire de cette femme pirate. Ottilia avait entendu cent fois raconter ses sanglantes aventures. Ann Bonny naquit en Irlande en 1690, d'une servante et du maître de la maison. Quand l'adultère fut découvert, les amants durent s'exiler et s'installèrent en Caroline pour fonder une plantation. Ce fut une réussite ; le planteur et sa maîtresse vécurent bientôt dans l'aisance. Ann, qui reçut une bonne éducation, entendait, rapportés par les domestiques ou des voisins, les exploits des pirates qui infestaient la côte est de l'Amérique et aussi les îles Bahamas, alors appelées Lucayes. Les marchands au détail, aussi bien que les gens de la bonne société de Charleston, peu curieux de connaître l'origine des marchandises, des soieries et de l'argenterie que les pirates proposaient à la vente, entretenaient avec ces bandits des relations commerciales courtoises. Le gouverneur lui-même protégeait les pirates en échange d'une part de leur butin. Encore adolescente, Ann tomba amoureuse d'un de ces écumeurs des mers nommé Bonny. Au grand dam de ses parents, elle l'épousa et devint la première femme pirate des Carolines. Elle prenait plaisir, disait-on, à imaginer des tortures raffinées pour obliger passagers et marins des navires attaqués par son mari à livrer or et bijoux. Le couple, installé à Nassau, alors base des pirates, pratiquait la débauche comme une religion, entre deux expéditions en mer. Bientôt, cette harpie, trouvant Bonny trop timoré, le quitta pour suivre un brigand plus audacieux, John Rackam, dit Calico Jack, donné comme inventeur du pavillon noir à tête de mort, le trop fameux emblème de la piraterie. Enceinte, Ann dut un jour faire escale à Cuba pour accoucher. Elle abandonna l'enfant et rembarqua, entraînant une de ses amies, aussi corrompue qu'elle, Mary Read. En 1720, le bateau de Rackam fut capturé par un navire de sir Woodes Rogers, gouverneur des Bahamas, chargé par le roi d'Angleterre de chasser les pirates de l'archipel. Rackam fut pendu, mais Ann et son amie Mary, toutes deux à nouveau enceintes, échappèrent à ce sort. Peu après, Mary mourut de la fièvre jaune et Ann, désinvolte et lasse, retourna chez ses parents. Eh bien, cher monsieur, voilà le style d'héroïne que la petite Ottilia prenait pour modèle ! J'ai toujours pensé que ce genre

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