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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'aspiration perverse, inattendue chez une enfant, venait du sang de sa mère, la seconde femme de mon frère.
     
    – Le major Carver m'a dit un jour qu'on ne parlait pas des épouses de lord Simon, sujet très privé…, ironisa Desteyrac.
     
    – C'est enrober de mystère ce qui n'a rien de mystérieux ni de désobligeant pour mon frère, qui toujours s'est conduit en gentleman… sauf quelquefois avec moi ! lança Lamia, découvrant dans un rire franc des dents de carnassier aussi blanches que celles de requin qu'elle portait en sautoir.
     
    – Chaque famille à ses secrets que l'on respecte de génération en génération, observa Charles.
     
    – Un secret que partagent tout un tas de gens n'en est plus un, cher monsieur. Aussi vais-je vous dire ce qu'il en est, ne serait-ce que pour que vous compreniez mieux le caractère de ma nièce et lui pardonniez ses incartades.
     
    Lady Lamia attendit que la domestique eût disparu, après avoir servi le café, pour parler librement.
     
    – Ottilia est issue du second mariage de lord Simon avec une Allemande de qui il fit sa maîtresse alors que son épouse vivait encore. Après deux ans de mariage, la jeune épouse, Isabel Gualberto y Miranda, de santé fragile et de tempérament mélancolique, héritière d'une riche famille espagnole de Cuba, ayant contracté une fièvre pernicieuse, se révéla dans l'incapacité d'avoir une vie conjugale normale et de procréer. C'est alors que mon frère introduisit à Cornfield Manor, comme dame de compagnie, sa maîtresse, Sidonia von Blocksberg, fille d'un colon allemand, rencontrée à Charleston où les Cornfield ont toujours eu des affaires. Curieuse femme que cette superbe Teutonne ! On apprit un peu tard qu'elle était la petite-fille, par sa mère, d'une des épouses de Blackbeard, le fameux pirate polygame qui écumait l'océan au large de la Virginie et des Carolines, ainsi que la mer des Caraïbes. Il semble que Sidonia ait hâté la fin de lady Isabel Cornfield pour prendre sa place. Ce qui advint peu après la mort d'Isabel. C'est de cette union que naquit Ottilia en 1831. Enfant, elle était si belle et si fraîche que tout le monde l'appelait Rosebud, bouton de rose…
     
    – Vous pensez que la maîtresse a vraiment hâté la fin de l'épouse légitime ? fit Desteyrac, incrédule.
     
    Après un instant de silence, comme si elle hésitait à en dire plus, Lamia compléta la confidence.
     
    – Le prénom de Sidonia aurait dû m'inciter à la défiance, moi qui crois aux correspondances étranges et aux hasards exagérés…
     
    – C'est cependant un prénom comme un autre, dit Charles pour relancer le dialogue.
     
    Il savait maintenant que Lamia jouissait de la faculté quasi supranormale de discerner le sens caché d'un fait, d'une situation, d'une attitude, d'expliquer tel ou tel événement par la conjonction d'éléments apparemment hétérogènes, dispersés dans le temps et l'espace. Sans doute était-ce à cause de sa capacité à interpréter des signes anodins pour le commun des mortels que lord Simon traitait sa sœur de sorcière. Aussi l'ingénieur ne fut-il pas surpris d'entendre, comme il l'escomptait, son hôtesse développer une argumentation originale.
     
    – Sidonia, cher monsieur, est le prénom d'une magicienne allemande du XVII e  siècle, Sidonia von Bork. Cette femme était d'une beauté irrésistible, comme la mère d'Ottilia. Mais elle était aussi le mal incarné. Elle trompa et empoisonna sa cousine par alliance, Clara von Bork, de qui elle convoitait le mari et, plus encore, la fortune et la position sociale. Elle commit ensuite assez de méfaits pour être brûlée comme sorcière en 1620, mais elle avait alors quatre-vingts ans !
     
    – Et vous considérez que la similitude des prénoms et de l'origine expliquerait le comportement de la maîtresse de votre frère ? N'est-ce pas là une spéculation gratuite ? observa Charles.
     
    – Nous savons, mon frère et moi, ainsi que le major Carver et le docteur Kermor, que notre Sidonia se conduisit exactement comme la sorcière du XVII e  siècle, lointaine compatriote dont elle portait le prénom. En 1836, longtemps après la mort d'Isabel, alors qu'Ottilia allait sur ses cinq ans, lord Simon reçut de son ami le gouverneur des Bahamas une information stupéfiante. Une mulâtresse, arrêtée à Nassau pour avoir empoisonné plusieurs personnes, avoua au pied du gibet qu'elle connaissait lady Sidonia

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