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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Cornfield et qu'elle lui avait fourni du poison en échange d'un collier. Ce bijou avait appartenu à Isabel, et nous l'avions cru volé.
     
    – En France, nous avons eu la Brinvilliers, commenta Charles, amusé.
     
    – Les aveux et le collier constituaient de telles preuves que Simon me fit d'abord part de son désir de confondre publiquement sa femme. Mais, pour éviter le scandale et épargner Rosebud, très attachée à sa mère, il résolut de faire justice lui-même. Ce qui fut bientôt exécuté de la façon la plus discrète, conclut lady Lamia.
     
    – Le poison ? Le poignard ? Le fusil ? osa Desteyrac.
     
    – Seuls les requins pourraient le dire, éluda Lamia, narquoise.
     
    – Puisque nous en sommes aux prénoms, le vôtre, chère lady Lamia, n'a-t-il pas aussi une origine particulière ?
     
    – Si vous la connaissez, pourquoi cette question ?
     
    – Parce que je trouve que ce nom d'une mythologique tueuse d'enfants ne vous va pas. J'aurais préféré qu'on vous laissât celui de Carlota. C'est ainsi que j'aimerais vous appeler.
     
    En un geste vif et spontané, Lamia se pencha vers Charles et lui prit la main.
     
    – Enfin un homme clair ! dit-elle simplement en fixant l'ingénieur d'un regard intense.
     
    Répondant à cet abandon inattendu, Desteyrac baisa doucement les doigts de son hôtesse.
     
    – Vous me faites plus de bien que vous ne pouvez imaginer, murmura-t-elle.
     
    Puis, se ressaisissant, elle quitta sa chaise pour aller quérir un pichet placé dans un rafraîchissoir. Elle emplit deux verres et en tendit un à Charles.
     
    – Buvez, dit-elle, l'eau glacée est le meilleur antidote aux effusions sentimentales…
     
    – Je ne les tiens pas toutes pour poison, dit Charles, poursuivant le marivaudage.
     
    Comme Lamia continuait de boire à petites gorgées, les yeux baissés, il se tut et vida son verre dans un silence embarrassé.
     
    – J'ai le sentiment que Soledad recèle plus de mystères qu'on ne saurait imaginer. Heureusement, ils appartiennent tous au passé, finit-il par dire pour interrompre une pause qui se prolongeait.
     
    – Détrompez-vous, mon ami. Ici le mystère se renouvelle, comme les fleurs d'hibiscus. Par exemple, que pensez-vous des puisatiers engagés par mon frère ?
     
    – On ne les voit guère dans le Cornfieldshire. Tilloy m'a confié qu'ils cherchent à recueillir de l'eau douce dans les trous bleus, répondit Charles.
     
    – De l'eau douce ! Dans les trous bleus ! Voilà qui est bien trouvé ! Mais ce n'est pas l'eau douce qu'ils cherchent ! s'exclama Lamia, sibylline.
     
    – Que peuvent-ils donc chercher ici ?
     
    – Le Graal, mon cher ! Le Saint-Graal ! lança-t-elle dans un éclat de rire sarcastique.
     
    1 Il devait cesser de paraître en 1856.
     
    2 Le tableau se trouve aujourd'hui au Museum of Fine Arts, à Boston. Une autre version est visible à la National Gallery of Arts, à Washington.
     

5.
     
    Depuis qu'il avait reconquis une mobilité de moins en moins claudiquante et la capacité de monter les escaliers, Malcolm Murray habitait Cornfield Manor. Au lendemain de sa tentative de suicide et de son duel mimé avec Charles, lord Simon, à la suggestion de Carver et de Desteyrac, avait accepté d'héberger son neveu sous son toit. Enchanté de quitter son logement des écuries, dont nul parfum, fût-il hindou, ne pouvait couvrir une atavique odeur de crottin, Malcolm occupait maintenant, dans la vaste demeure, deux belles pièces aménagées dans les faux combles et éclairées par des chiens-assis.
     
    Le jeune architecte retrouva vite le goût de vivre dans un confort familier, suivant le rythme et les habitudes de sa classe. Lord Simon, de qui il partageait les repas et avec qui il faisait la partie de whist, découvrait chaque jour les qualités et les connaissances d'un garçon à qui il ne prêtait jusque-là que défauts et paresse.
     
    Charles portait à Malcolm toute l'attention qu'un être fort et équilibré doit à l'ami faible. Il se réjouissait donc du changement de vie du cousin d'Ottilia, mais s'inquiétait de le voir le plus souvent mélancolique et désœuvré. Murray partageait ses journées entre des incursions de dilettante à la bibliothèque du manoir, des galopades solitaires à travers l'île, des flâneries sur les plages en compagnie de pêcheurs indigènes de qui il courtisait sans vergogne les filles et les sœurs. Aussi le Français décida-t-il

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