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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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faisait apprécier la beauté du panorama, Charles perçut, venant de la maison, un rire gloussant de femme chatouillée. Tilloy, que le moindre jupon affriolait, lutinait la belle, à qui ce genre d'attention semblait ne pas déplaire.
     
    L'officier reparut bientôt, suivi de la servante qui portait une carafe d'eau fraîche, parfumée au jus de limette, ce petit citron doux, très commun sur l'île.
     
    – Avant de nous asseoir pour bavarder, j'aimerais, mon fils, puisque vous êtes catholique, vous donner la possibilité de vous recueillir un instant dans notre chapelle, qu'un saint homme construisit de ses mains il y a cent cinquante ans.
     
    – Bien volontiers, dit Charles.
     
    – Notre cher Mark, adepte de l'Église anglicane, est dispensé de la visite, mais, pendant notre absence, il aidera Manuela à dresser la table, car je vous convie tous deux à partager mon frugal repas, reprit Taval en conviant Charles à le suivre.
     
    Avant qu'ils aient atteint le seuil de l'oratoire, le lieutenant et la métisse avaient disparu dans l'ermitage. Charles, privé de femme depuis bientôt un an, imagina, un rien envieux, ce qui pouvait s'y passer.
     
    L'intérieur de la chapelle, d'une sobriété claustrale, ne comportait qu'un autel de bois recouvert d'une nappe brodée, quatre bancs et deux prie-Dieu.
     
    – Tout ce que nous possédons – ce crucifix de bronze autrefois doré, cette Vierge de bois polychrome qui a perdu ses couleurs et ce tabernacle de cuivre martelé – nous a été envoyé par le Seigneur et porté par l'océan après le naufrage d'un navire espagnol, dit avec onction le père Taval.
     
    Avant de quitter l'oratoire, dont le dépouillement invitait plus à la prière que le riche décor d'une cathédrale ornée de statues sulpiciennes, de vitraux précieux et de tableaux de maîtres, le religieux marqua un temps d'arrêt éloquent devant un tronc pendant d'un bénitier taillé dans le calcaire corallien. Charles y glissa une guinée, ce qui lui valut une bénédiction spontanée.
     
    Sous le flamboyant, peuplé de colibris à gorge rouge et dos vert dont les perroquets d'Abacos au plumage multicolore troublaient les jeux, une table avait été joliment dressée par Tilloy et Manuela. Charles mit le feu qui colorait leurs pommettes au compte de la chaleur et des besognes domestiques, mais un clin d'œil furtif de Mark lui donna à penser que ces rougeurs trahissaient un plus agréable exercice.
     
    La frugalité annoncée du repas fut démentie par une poire d'avocat farcie de langouste, suivie d'un mérou à la Bimini et d'une crème glacée à l'ananas. D'un ton qui se voulait lamentable, l'ermite fit remarquer qu'il débouchait, en l'honneur de l'ingénieur français, sa dernière bouteille de vin de Bordeaux, don du major Carver.
     
    – Ah, mon père ! C'est toujours la dernière bouteille que vous servez à ceux qui ont la chance d'être vos invités. À croire que le bon Dieu, qui n'en est pas à un miracle près, remplace les flacons vides par des pleins ! s'esclaffa Tilloy.
     
    – Le coup des noces de Cana, en somme ! compléta Desteyrac, ce qui déclencha l'hilarité générale.
     
    Le solitaire du mont de la Chèvre n'attendait qu'un encouragement.
     
    – Manuela, nous avons encore soif. Va donc au cellier voir si le miracle s'est une fois de plus produit, et si cette bouteille n'a pas déjà une sœur ! ordonna, enjoué, le maître de céans.
     
    Sachant que Tilloy n'était dupe ni de ses propos ni de ses mœurs, et moins encore de sa pratique très personnelle d'un sacerdoce dont il eût sans doute été incapable de prouver l'authenticité, l'ermite s'abandonnait au plaisir de la joyeuse compagnie. Comme on pouvait s'y attendre, la servante apporta une nouvelle bouteille. Par jeu, tous crièrent au miracle avant de la vider.
     
    Au café, estimant l'ambiance favorable, Mark Tilloy entreprit le père Taval.
     
    – On dit que votre prédécesseur, don Pascual, possédait un crâne en cristal de roche et qu'avant de mourir il crut bon de le cacher quelque part sur l'île. Qu'en pensez-vous ?
     
    Dans sa très relative solitude, l'ermite était informé au quotidien de tout ce qui se passait sur l'île. Peut-être avait-il prévu à la fois l'objet de la visite des deux hommes et la question posée.
     
    – Je sais que lord Simon voudrait retrouver cet objet qui ne peut intéresser qu'un musée. Car, pas plus que moi, sans doute, vous ne croyez

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