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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ne peut se trouver ici, et ce n'est pas ce que cherche lord Simon, même s'il se prend parfois pour le roi Arthur des tropiques !
     
    – Le Graal, s'il exista jamais, n'est certainement pas ici, mais le tracé de ce sentier prouve que notre don Pascual était plus versé dans l'ésotérisme et d'un tempérament plus mystique que ne le révèlent les rapports et témoignages conservés à Nassau, remontra Charles.
     
    – Mais comment savez-vous toutes ces choses ? demanda naïvement l'officier.
     
    – J'ai été formé par les jésuites, et si la plupart de mes maîtres se contentaient d'enseigner latin, grec ou mathématiques, mon professeur de philosophie, un prêtre dénué de sectarisme, faisait montre d'une grande curiosité, d'une avidité de compréhension pour les mythes et légendes. J'ai beaucoup appris de lui. Au temps de l'Inquisition, il eût été envoyé au bûcher, confia Charles.
     
    – L'enseignement britannique est plus formaliste. D'abord, nous considérons que Dieu est anglais, ce qui nous dispense de toute spéculation spirituelle, et pour le reste, Shakespeare, le croquet et la chasse du renard nous suffisent, reconnut le lieutenant en riant.
     
    Un promenoir circulaire, couvert de fin gravier soigneusement ratissé, occupait le sommet du mont de la Chèvre. Face à l'est se dressait la chapelle que Charles avait aperçue au cours de ses traversées de l'île, aussi bien du village des artisans, sur la côte ouest, que du village des Taino et de celui des pêcheurs, sur la côte est. Humble et frêle, surmonté d'un clocheton que les ouragans avaient plusieurs fois jeté à bas, badigeonné au lait de chaux chaque année, l'oratoire prenait, sous la lumière crue, par sa blancheur éblouissante, une valeur plus décorative que dévote. Se souvenant des Noëls de son enfance, Charles lui trouva une touchante ressemblance avec les minuscules églises d'argile peinte que les santonniers placent, de manière anachronique, dans les crèches provençales.
     
    À quelques pas du sanctuaire, l'ermitage, cube blanc aux murs percés d'étroites fenêtres et d'une seule porte basse, illustrait, du moins par son architecture fruste, l'édifiante simplicité de l'abri de qui s'est retiré du monde pour prier et méditer.
     
    Le père Taval, qu'ils trouvèrent à l'ombre d'un grand flamboyant, se balançant dans un vieux rocking-chair, siège récupéré dans un bateau venu s'éventrer sur les récifs, ne portait pas la haire de crin de l'anachorète, mais un pantalon et une chemise de toile blanche. De longs cheveux argentés, rassemblés en catogan sur la nuque, des yeux bleu cobalt, des joues pleines et roses, la lèvre gourmande, dénonçaient une absence certaine d'ascétisme érémitique. Il se leva et tendit une main soignée aux visiteurs, dont l'approche avait été signalée par Manuela, sa domestique, grande et belle métisse au port altier dont les mauvaises langues assuraient qu'elle avait donné au prêtre plusieurs enfants élevés à Buena Vista par lady Lamia.
     
    – Comme je suis heureux de vous voir, dit-il, l'œil brillant, quand Mark Tilloy eut présenté Charles comme l'ingénieur des Ponts et Chaussées engagé par lord Simon pour construire un pont entre l'île et l'îlot. Ah, mon fils ! Votre arrivée a donné beaucoup d'inquiétude à mon amie lady Lamia. Elle qui tente de protéger des turpitudes coloniales ses chers Arawak voyait ce pont comme une passerelle satanique. Mais elle a admis qu'une telle liaison entre Soledad et Buena Vista devient indispensable. D'ailleurs, les mœurs corrompues arrivent aujourd'hui aussi bien par mer que par terre. Et puis, cette femme au cœur pur, exigeante et sensible, apprécie vos bonnes manières françaises, m'a-t-elle dit.
     
    – J'en suis enchanté, car j'ai grande estime pour lady Lamia et son œuvre, mon père, dit Charles en s'inclinant avec respect.
     
    Agissant ainsi, il suivait les consignes de Tilloy : jouer le jeu en accordant à Paul Taval la considération que lui valait, plus qu'un douteux état de prêtrise, sa bonhomie naturelle et son humanité, de tous appréciées.
     
    Pendant cet échange, Mark Tilloy, habitué des lieux, avait disparu dans la maison pour remettre discrètement à la servante les flacons de rhum. C'était façon de ne pas révéler le penchant du religieux pour les boissons fortes en présence d'un étranger. Tandis que le supposé cénobite, après quelques pas avec l'ingénieur,

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