Le Pont de Buena Vista
aux pouvoirs d'une sculpture profane, vieille de deux ou trois cents ans. Mais je crains que les scaphandriers embauchés à Plymouth ne trouvent rien. Je me suis plusieurs fois entretenu de cette affaire avec lord Simon et le major Carver : ils désiraient savoir si don Pascual avait laissé ici un quelconque message susceptible d'orienter les recherches.
– Et, naturellement, vous n'avez trouvé aucun indice, fit Tilloy.
– Voyez-vous, je suis arrivé ici il y a une trentaine d'années pour relever la chapelle à demi ruinée, restaurer l'ermitage et, pour de bonnes raisons, me tenir définitivement à l'écart du monde. Il faut savoir que ce lieu est resté désert pendant près d'un siècle, voué aux chèvres importées par les Espagnols, dont, Dieu merci, l'espèce se perpétue pour nous donner lait et fromage. Vous pensez bien que ce qu'aurait pu laisser don Pascual dans l'ermitage ou alentour avait disparu avant même mon installation ! Tout ce qui reste de lui est sa sépulture, derrière la chapelle. Tombeau maintenant négligé par les pèlerins catholiques, découragés depuis que sévissent dans l'archipel des pasteurs puritains. Aujourd'hui, un saint homme mort, pas plus qu'un reclus vivant, ne fait recette. À part quelques marins et deux ou trois vieilles Espagnoles, personne ne vient glisser une obole dans le tronc de la chapelle. Sans mes chèvres, la générosité de lady Lamia et de mes amis pêcheurs qui me fournissent en poisson, je mourrais de faim, messieurs. Et la pauvre Manuela, qui me sert avec tant de dévouement, ne pourrait pas vivre ici.
– Nous avons appris que don Pascual avait été enterré avec son bréviaire. Est-ce concevable ? demanda Tilloy, négligeant les jérémiades du prêtre.
– Cela se fait dans certains ordres. Don Pascual, mourant ici sans un pieux successeur, ne pouvait, je suppose, qu'emporter dans la tombe son viatique spirituel, émit l'ermite.
– La tombe de don Pascual n'a bien sûr jamais été ouverte ? risqua Desteyrac.
– Bien sûr. Pourquoi aurait-on ouvert cette sépulture sur laquelle la nature tropicale a fait son œuvre ?
Desteyrac et l'officier remarquèrent la gêne soudaine de leur interlocuteur et la manière dont Manuela détournait la tête en pinçant les lèvres.
– Ce n'est pas ce que j'ai appris tout récemment, assena sèchement Tilloy en fixant Charles d'un regard appuyé dont l'ingénieur comprit d'emblée la signification.
– Ah çà ! Quelqu'un vous aurait dit que la tombe de don Pascual avait été profanée ? hasarda l'ermite sans conviction.
– Oui. Et aussi que ses os ont été par vos soins transférés sous une dalle de la chapelle, ce qui est bien la meilleure place pour les restes d'un prétendu saint, ajouta posémement le lieutenant.
Il ne cherchait pas à ménager la susceptibilité de celui qu'il tenait pour un aimable imposteur, dont, par accord tacite, tous les Blancs de l'île admettaient la présence dans le rôle inoffensif d'ermite patenté. Après un moment de silence, Paul Taval ordonna à Manuela d'apporter la liqueur de banane qui tenait lieu de pousse-café.
– Bon, je ne vais pas vous raconter d'histoires. Intrigué par les questions de lord Simon, j'ai, non sans mal, retrouvé et ouvert la tombe de don Pascual. Le caveau étant devenu inutilisable, j'ai enseveli ses pauvres os dans la chapelle. Je compte d'ailleurs faire graver son nom sur la dalle qui recouvre ses restes. Quand la chose se saura, de nouveaux pèlerins viendront peut-être se recueillir devant elle, débita sans gêne le religieux.
– Si vous aviez ici une ou deux guérisons miraculeuses, ça arrangerait bien vos affaires ! La multiplication des bouteilles est déjà prometteuse, persifla Tilloy.
– Mon fils, les desseins de Dieu sont insondables, répliqua l'ermite sur le même ton.
La servante s'étant éloignée, Desteyrac intervint.
– Vous avez, certes, bien agi en inhumant les restes de don Pascual dans votre oratoire. Mais ce qui nous intéresse, le lieutenant Tilloy et moi, c'est le livre que vous avez peut-être trouvé dans le cercueil du défunt.
Taval vida à petites gorgées son verre de liqueur, ne manifestant aucun empressement à répondre. Au fil des années, ses actions charitables, l'assistance apportée aux mourants, son aptitude à conseiller intelligemment ceux et celles qui, dans un moment de désarroi,
Weitere Kostenlose Bücher