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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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généreux petit déjeuner, puis flâna jusqu'à l'heure du lunch en lisant les journaux. Il accueillit les nouvelles du monde avec l'indifférence de qui n'est plus concerné. Le Monténégro venait de proclamer son indépendance ; le tsar Nicolas osait faire pression sur le gouvernement britannique pour régler à son avantage la question des Balkans ; Napoléon III avait invité à Compiègne Mlle Eugénie de Montijo, ce qui relançait des bruits de mariage ; M. Franklin Pierce, élu en novembre quatorzième président des États-Unis, se préparait à prendre ses fonctions le 4 mars. Plus près de Liverpool, les fileurs de Preston commençaient une grève qui promettait, d'après les commentateurs, d'être aussi dure que celle des ouvriers des manufactures de Manchester en 1842.
     
    Au commencement de l'après-midi, dès que les envoyés du major Carver eurent pris possession de ses bagages et d'autres qu'il supposa appartenir à Murray, Charles décida de se rendre, en promeneur, au Saint Katharine's Dock.
     
    Étant l'invité du major Carver, il crut bon de distribuer quelques pourboires au personnel de l'hôtel, avant de prendre, dans les formes, congé du propriétaire. L'hôtelier accompagna jusqu'au seuil le Français, dont le paletot et le feutre citadins indiquaient qu'il n'avait rien d'un marin, et le mit en garde.
     
    – Notre district portuaire a mauvaise réputation, dit-il. Dans le bas de la ville, vous verrez, même en plein jour, beaucoup de filles à matelots, au décolleté indécent, qui montrent leurs mollets, et aussi des gitons maquillés. Ces prostitués des deux sexes, qu'il faut bien tolérer dans un port, racolent les marins et les détroussent. Comme vous paraissez solide et en bonne santé, vous risquez encore d'être approché par des capitaines en manque d'équipage, ou par les quartiers-maîtres recruteurs de la Navy. Ces derniers vous saoulent, vous jettent à bord d'une gabare et, avant que vous n'ayez recouvré vos esprits, vous naviguez en pleine mer. Méfiez-vous aussi des chômeurs irlandais qui débarquent chez nous par milliers : ce sont des ivrognes batailleurs.
     
    – Rassurez-vous, monsieur, je me rends au port pour embarquer sur le Phoenix , le bateau de lord Simon Leonard Cornfield.
     
    – Un bien beau navire, milord. Permettez-moi de vous souhaiter une heureuse traversée, conclut l'hôtelier, s'inclinant avec respect.
     
    De Liverpool, Charles Desteyrac ne connaissait que ce qu'il venait de lire dans Redburn , un ouvrage d'Herman Melville, acheté à Paris la veille de son départ. Il pensait y trouver une initiation accessible aux choses de la mer. « De tous les ports de mer, c'est sans doute Liverpool qui grouille de la plus abondante vermine de requins de terre, rats de terre et autres destructeurs et rongeurs, acharnés sur le malheureux marin. Car les repaires de débauche sont innombrables et fameux dans les environs du port, où le vice connaît un épanouissement qui ne saurait être comparé à rien d'autre de ce côté-ci de l'enfer », avait écrit l'Américain lors de son séjour, en 1837. Il avait cependant ajouté : « Tous les marins du monde aiment Liverpool, qui est littéralement leur paradis. »
     
    « Ce doit être vrai », se dit Charles en considérant la foule de matelots blancs, noirs ou jaunes, qui déambulaient par groupes dans Paradise Street où, le soir, théâtres et cabarets refuseraient du monde.
     
    Sur les rives de la Mersey, les installations portuaires – plus de trente docks dus à l'ingénieur Jesse Hartley – s'étaient prodigieusement développées depuis la création du premier bassin, en 1715, alors que le roi de France, Louis XIV, se mourait à Versailles et qu'un Allemand qui ne parlait pas anglais, George I er , régnait sur le Royaume-Uni de Grande-Bretagne.
     
    En approchant des bassins, Charles eut tout loisir d'admirer l'hôtel de ville, construit un siècle plus tôt, la colonnade de l'hôtel des Douanes, l'architecture néogothique et le porche palatin de la nouvelle Maison du marin, l'hôpital maritime entretenu par tous les matelots de passage à Liverpool, auxquels l'administration du port prélevait six pence sur leur solde. Il vit aussi quelques beaux hôtels particuliers, résidences des armateurs enrichis par le négoce du coton, plus encore par la traite des Noirs qui cueillaient l'or blanc dans les plantations de Louisiane, de Georgie et d'Alabama. Ces constructions

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