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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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château-yquem 1830 !
     
    – Bonne année, m'a-t-on dit. J'ai constaté que, chez vous, Français, les meilleures années de vin coïncident souvent avec celles des révolutions, remarqua Colson, un rien ironique.
     
    – C'est au cours de la révolution de 1830 que périt mon père, fit Charles, sans dissimuler sa contrariété.
     
    – Pardonnez cet impair, monsieur. J'ignorais les circonstances de votre deuil. L'aurais-je su, j'eusse demandé à notre sommelier de choisir un autre millésime, dit vivement l'officier, contrit.
     
    – Ce n'est rien, commandant. Si la révolution fut mauvaise, le vin est certainement bon. Si vous le permettez, je lèverai mon verre à la mémoire de mon père, un républicain exemplaire, ajouta simplement Charles.
     
    – Nous nous associons respectueusement à ce toast, monsieur, dit Carver en posant une main amicale sur le bras de Charles.
     
    L'incident étant clos sans dommage, Desteyrac remarqua l'absence de Murray. Le major Carver avait excusé le docteur Kermor, dit Uncle Dave, qui, originaire de Liverpool, prenait un dernier repas chez sa sœur, et l'enseigne Michael Hocker, retenu à la capitainerie du port par les formalités de départ. Quant à l'officier en second, Philip Rodney, il veillait au chargement du navire.
     
    – M. Murray ne dîne pas avec nous ? demanda Charles.
     
    – Il préfère se faire servir par son valet un repas dans sa chambre, répondit Tilloy.
     
    – Passager supplémentaire et imprévu, ce valet ! Il prétend, m'a-t-on dit, se voir donner une chambre voisine de celle de son maître, dit Colson, s'adressant à Tilloy.
     
    – J'ai en effet dû convaincre ce domestique que sa place est à l'avant, dans le poste des stewards, et non à l'arrière, parmi les passagers. Dormir dans un hamac ne semble pas lui convenir. Il s'en plaindra, m'a-t-il dit, à l'honorable Malcolm Cuthbert Murray, prévint le second.
     
    – Veillez, je vous prie, monsieur Tilloy, à ce que ce valet se tienne à sa place. Et si l'honorable Murray a des observations à formuler, envoyez-le-moi, conclut Colson avec autorité.
     
    Suivant la coutume anglaise, le serveur proposa d'abord deux potages, l'un clair, l'autre épais. Suivit un excellent rôti, trop cuit au goût du Français, accompagné d'un moelleux pudding. Une gelée de fruits mit fin au repas, le meilleur que Charles eût fait depuis qu'il avait quitté Paris.
     
    Au dessert, le capitaine Colson confirma qu'on prendrait la mer à l'aube, « même si ceux que vous attendez encore ne se sont pas présentés », dit-il à l'intention de Carver. C'était une façon de rappeler à tous que le capitaine est seul maître à bord après Dieu.
     
    – Qui vous savez a quitté Londres ce matin : on m'en a informé par le télégraphe. Quant à nos puisatiers, partis hier de Portsmouth, ils doivent à cette heure descendre du train. O'Graney est à leur rencontre avec deux matelots. Je pense qu'avant minuit tout notre monde sera à bord, monsieur Colson, dit Edward Carver.
     
    Le rite du porto et des cigares d'après-dîner empêcha Desteyrac de s'interroger sur les propos sibyllins du major. Pourquoi Carver tenait-il à se montrer si discret quant à l'identité des retardataires ?
     
    Tout en écoutant le capitaine et le second lieutenant supputer la clémence relative du temps, en ce mois de janvier à la limite du gel, ce qui laissait bien augurer de la mer à l'heure du départ, Charles s'intéressa au décor. Parois lambrissées, appliques de bronze montées sur rotules, plafond à caissons polychromes, desserte de bois sculpté, parquet de chêne clair, la salle à manger du Phoenix ressemblait à ce qu'on nommait autrefois grande chambre sur les vaisseaux de haut bord de la Compagnie des Indes. Des aquarelles représentaient goélettes, frégates et flûtes, voiles gonflées, proues dressées, chevauchant les vagues vertes frangées d'écume d'un océan furieux. Elles conféraient au lieu le caractère maritime que l'ambiance, le mobilier et l'immobilité du bateau auraient aisément fait oublier. Entre deux fenêtres – on ne parlait pas à bord de hublots –, volets clos et rideaux tirés, était suspendue une roue de gouvernail aux manettes polies par les mains de timoniers depuis longtemps disparus. Le Français voulut connaître l'origine de ce qu'il supposa avec raison être un trophée.
     
    – Précieuse relique, en effet, monsieur. C'est la gouverne du Naseby ,

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