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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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portait, sous le beaupré de chêne vernissé, une représentation sculptée du phénix, oiseau fabuleux aux ailes de pourpre et d'or. Dans la lumière d'un couchant précoce, le grand oiseau au bec menaçant, ailes déployées pour l'envol, semblait défier l'horizon. La partie immergée de sa coque, doublée de feuilles de cuivre rouge, conférait au Phoenix solidité et vitesse. Bien que blasés, les travailleurs du port, qui voyaient chaque saison des centaines de beaux navires, s'arrêtaient pour admirer le yacht blanc dont la proue, ornée d'une frise récemment redorée, se dressait en un élancement gracieux. Des badauds, venus en famille, demandaient vainement au marin posté sur le quai, au bas du chemin-planche, à visiter le voilier dont l'aménagement intérieur, réputé luxueux, avait été comparé, dans un article du quotidien de Liverpool, à celui du yacht Cleopatra's Barge , du millionnaire américain de Salem George Crowninshield.
     
    Ayant décliné son identité, Charles Desteyrac fut immédiatement accueilli à bord par le lieutenant Mark Tilloy, à qui Carver l'avait présenté la veille, au Red Eagle.
     
    – Vos bagages ont été placés dans votre chambre. Je vais vous y conduire, dit aimablement l'officier.
     
    Tilloy était un beau garçon robuste, au visage avenant, regard azuré des marins, peau ambrée, comme chamoisée par les embruns et le soleil, à l'aise dans un uniforme bleu foncé de bonne coupe, porté sur une chemise blanche dont le col aux angles cassés était fermé par une cravate de soie noire. Les quelques matelots que Charles aperçut sur le passavant, occupés à descendre dans la grande écoutille, à l'aide d'un palan, des caisses et des ballots, arboraient eux aussi pantalons et vareuses bleus. Leur bonnet portait, brodée au fil d'or, une réduction de la figure de proue, ce qui conférait à l'équipage une allure militaire.
     
    Sur le pont supérieur du Phoenix ouvraient douze cabines, qu'il valait mieux appeler chambres pour ne pas déplaire au capitaine Colson. Celle qui échut à Charles Desteyrac offrait les éléments de confort du meilleur hôtel, avec ses parois lambrissées de chêne et bois de rose.
     
    Il découvrit, avec l'étonnement du terrien qui croit que seul le rudimentaire est admis à la mer, un lit-cadre, ferme mais confortable, une commode d'acajou dont le dessus se relevait en partie pour faire apparaître un miroir, une cuvette, un broc et un nécessaire de toilette en faïence. Sur chaque pièce, Charles reconnut le phénix d'or, protecteur du navire. Un fauteuil, deux chaises et une table-bureau complétaient le mobilier, avec une penderie noyée dans une cloison. Deux aquarelles représentant des voiliers en fuite dans le gros temps et deux appliques de bronze, montées à la Cardan, ajoutaient à la sensation de bien-être et de sécurité. Les meubles, fixés au plancher pour prévenir tout déplacement en cas de tempête, fleuraient bon l'encaustique.
     
    S'abandonnant à l'excitation joyeuse de la partance, Desteyrac prit possession des lieux. « Ce bateau n'est, après tout, qu'un hôtel flottant », se dit-il. Il en était encore à défaire son bagage quand un coup sec, frappé à la porte, le fit sursauter. Le major Carver venait s'assurer que rien ne manquait au confort de l'ingénieur.
     
    – Le dîner sera servi à sept heures, dans la grande chambre. Le steward vous y conduira. Nous appareillerons à l'aube, à marée haute, sans doute pendant que vous dormirez, dit-il.
     
    – Vos passagers retardataires sont-ils arrivés ? s'enquit Charles.
     
    – J'ai envoyé le maître d'équipage chercher M. Murray au Saint George. Il est à bord. Il dort comme un homme qui a vécu une nuit de débauche, précisa Carver dans un sourire plus méprisant qu'ironique, avant de quitter la pièce.
     
    « Le major, bien informé semble-t-il, a-t-il voulu me faire comprendre que Murray n'est pas une fréquentation recommandable ? » se demanda Charles.
     
    À la table du capitaine Colson, le Français eut une nouvelle preuve de l'estime que tous lui manifestaient quand le sommelier lui présenta, dans son berceau en filigrane d'argent, une bouteille de vin de Bordeaux.
     
    – Le commandant vous fait l'honneur de ce cru français, dit Mark Tilloy.
     
    – J'y suis très sensible, commandant, dit Charles, s'inclinant vers Colson avant de lire l'étiquette fanée, plissée, tachée de rousseurs : mon Dieu, c'est un

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