Le Pont de Buena Vista
fille de connaît'e ét'anger blanc, fo't et gentil. Ap'ès, elle peut ma'ier bien. On est content, le bon Dieu et les zemis aussi, assura Timbo avec sérieux.
– Le bon Dieu sera peut-être content, tes esprits tutélaires aussi, mais pas Monsieur le Pasteur. Car cette jeune fille a dû être baptisée, puisqu'elle a fréquenté l'école de la femme du pasteur.
– Sû', mais Mossu Pasteu' sait que c'est comme ça chez les Taino des A'awak depuis toujou's. Alors, il ma'ie sans demander 'ien. Comme majo' Ca'ver, il dit : « C'est vieille coutume, faut 'especter », affirma le jeune homme.
Charles demeura un instant pensif. Depuis son départ de Paris, il n'avait pas eu la moindre occasion de « contenter la bête », comme disait son ami Fouquet. Jusqu'à ces derniers jours, il n'avait même pas pensé aux femmes, malgré des manifestations oniriques qui, certaines nuits, lui rappelaient sa virile animalité.
– Bon. Remercie cette demoiselle, Timbo, mais dis-lui d'aller se faire déflorer ailleurs. Un homme de sa tribu fera bien l'affaire, non ?
Timbo prit un air consterné.
– Si Mossu l'Ingénieu' il 'envoie la jeune fille, g'and malheu' pou' elle. On di'a qu'elle peut pas plai'e, même à l'homme sans femme. On di'a qu'elle a p'têt' mauvaise odeu', qu'elle est pas p'op'e du co'ps, ou qu'elle est pas obéissante. On la moque'a. Elle t'ouve'a pas bon ma'i, déclara Timbo, sincèrement ennuyé.
– En somme, je devrais la violer pour la préparer au mariage ? Drôle de religion que la tienne, Timbo !
– Je comp'ends bien qu'elle plaît pas à Mossu l'Ingénieu', soupira le jeune homme.
Charles, plus déconcerté que scandalisé par cette étrange coutume indienne, se tourna vers la jeune fille. De grosses larmes roulaient sur ses joues et se perdaient à la commissure des lèvres.
– Je la trouve très plaisante, au contraire, mais j'aurais scrupule à profiter d'une pratique qui n'appartient qu'aux gens de ta tribu, Timbo. Tu comprends ça ?
– Faut p'ofiter tous les deux ensemble, vous et elle, répliqua l'Arawak avec un large sourire.
À la perspective de mettre dans son lit cette fragile créature, Charles, sevré de plaisir depuis plusieurs mois, sentit sa résolution première fléchir. Murray ne lui avait-il pas dit avoir passé quelques chaudes nuits avec une Indienne ?
– Bon, dis-lui que je voudrais parler de tout ça avec elle, ordonna-t-il à Timbo.
– Elle sait bien 'aconter des histoi'es d'aut'efois, mossu.
– Mais pour… le reste ? s'enquit Charles.
– Pou' le plaisi', elle sait tout ce qu'il faut fai'e à l'homme. Ses amies ma'iées, sa mè'e et ses sœu's, lui ont dit. Facile pou' Mossu, et Timbo t'ès content si peut di'e la jeune fille a bien plu à Mossu l'Ingénieu'.
Charles, près de se rendre, renonça à s'adresser directement à la demoiselle et décida de temporiser.
– Dis-lui que, ce soir, j'ai du travail, que je suis fatigué. Demain, je retourne à Sharks Bay où les terrassiers m'attendent. Quand je reviendrai, dans quelques jours, je t'enverrai la chercher. Si elle est toujours décidée, nous verrons, consentit Desteyrac.
Timbo transmit le message, que la jeune fille reçut avec une évidente satisfaction. Elle approcha et s'inclina profondément dans la direction du Français. La lune éclairant maintenant le décor, Charles remarqua le regard velouté, plein de douce reconnaissance, les lèvres épanouies dans un large sourire et, par la béance de la tunique, l'insolence de petits seins ronds et fermes.
– Comment s'appelle-t-elle ? demanda-t-il à Timbo dès que la visiteuse se fut éloignée.
– Wyanie. C'est la fille du co'donnier. Elle est bien contente veni' une aut'e fois, précisa Timbo, ravi que tout puisse s'arranger.
Desteyrac expédia rapidement son repas de beignets de conques et de fruits. La dernière bouchée avalée, il se rendit chez Edward Carver, qu'il était sûr, à cette heure-là, de trouver sur la galerie, en train de fumer le cigare en suivant du regard le vol des chauves-souris.
– Je ne m'attendais plus à vous voir ce soir, dit le major en offrant un siège au visiteur.
– Figurez-vous qu'il m'échoit une curieuse – encore qu'elle puisse être agréable – mission. Mais peut-être êtes-vous au courant ? dit aussitôt Charles.
– Vraiment ? Une mission ? répliqua le major
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