Le Pont de Buena Vista
L'équipage de ce bateau était composé d'Américains et de Britanniques qui avaient été engagés à New York. Ils ont soutenu n'avoir pas su le métier qu'on leur faisait faire, bien qu'on ait retrouvé le Jasper incendié dans une crique cubaine… C'est le procédé habituel des négriers, qui achètent à bas prix des rafiots réformés, y entassent les nègres, et, une fois la cargaison livrée, détruisent le navire.
– Et le Morning Post 4 a raconté comment le gouverneur général de Cuba, Valentin Cañedo, a été obligé de sévir à la demande du consul anglais, Jos Tucker Crawford, en poste depuis 1842. Ce diplomate souhaite depuis longtemps perquisitionner les cargos américains, mais se heurte à l'inertie des autorités portuaires cubaines et à la mauvaise volonté des Espagnols, dit Cornfield.
– L'an dernier, Crawford a tout de même obtenu la libération de mille six cents esclaves, précisa le major.
– Voyez-vous, Monsieur l'Ingénieur, cette situation, que la plupart des Français ignorent, est très ambiguë, car trop d'intérêts économiques et politiques sont en jeu. Les abolitionnistes du nord des États-Unis souhaitent que Cuba devienne possession américaine afin que l'esclavage y soit aboli, alors que d'autres Américains, les planteurs des États cotonniers du Sud, veulent eux aussi le rattachement de Cuba à leur république, mais seulement pour ajouter à l'Union un territoire esclavagiste ! répéta lord Simon.
– Et nous avons appris récemment que Pierre Soulé, l'ambassadeur des États-Unis à Madrid, soutient les planteurs sudistes, tandis que des gens comme Gaspar Bétan-court Cisneros, journaliste et écrivain, membre de la Junta cubana de New York, milite pour l'indépendance totale de Cuba. Ses articles, publiés dans La Verdad , périodique révolutionnaire fondé en 1848 par Cora Montgomery, sont introduits en fraude à Cuba, dit Carver.
– Entre gens de bonne foi, l'affaire de l'esclavage eût été, sans les Hispano-Cubains, aisément résolue. En 1852, la Grande-Bretagne, qui ne veut voir Cuba ni aux États-Unis ni à la France, avait obtenu la signature d'un gentleman's agreement par lequel le Royaume-Uni, la France et les États-Unis renonçaient séparément et collectivement à toute intention de prendre possession de l'île de Cuba. Ces pays s'engageaient en outre à décourager toute tentative de ce genre d'où qu'elle vînt. Or les Américains ne semblent plus tenir compte de cet accord.
– Il faut ajouter que les autorités espagnoles s'insurgent contre le fait que des abolitionnistes, souvent des pasteurs méthodistes, viennent du nord des États-Unis et même de nos îles des Bahamas ou de Grande-Bretagne pour inciter les nègres à la révolte. Ils distribuent des brochures antiesclavagistes, et les autorités les expulsent de l'île, poursuivit Carver.
– La propagande abolitionniste a commencé dès que l'Espagne, par le traité du 23 septembre 1817, a accepté la suppression de la traite des nègres. Ce n'est donc pas nouveau. À Cuba, il y avait à cette époque deux cent quarante mille Blancs, deux cent mille esclaves, cent vingt mille nègres libres. On compte maintenant sur l'île plus de quatre cent mille esclaves ! Et les Cubains ne se privent pas de rappeler à chaque occasion qu'il y eut, en 1844, une rébellion des nègres, soutenue en sous-main par l'Angleterre, et que, deux ans plus tard, ils déjouèrent un complot ourdi par le mulâtre Gabriel de la Concepción Valdes, poète patriote, et par José María Heredia 5 . Valdes, déjà compromis en 1823 dans un complot contre l'Espagne, a été fusillé, et Heredia banni, révéla lord Simon.
– Les autorités cubaines ont beau jeu de rappeler encore comment Narciso López, ancien adjoint du gouverneur espagnol de Cuba, rejoignit les révolutionnaires cubains favorables à l'annexion par les États-Unis. Dénoncé comme conspirateur par le gouvernement espagnol, López s'exila à New York et, en 1851, monta une expédition contre Cuba, avec l'aide du colonel Crittenden, un ancien de West Point, suivi d'une bande de Kentuckiens. Ils débarquèrent à trente-cinq kilomètres de La Havane, mais furent arrêtés par les Espagnols. Crittenden et cinquante de ses hommes furent internés au fort d'Atares. Plusieurs furent fusillés. Narciso López fut jugé et pendu en public, le 1 er septembre, au pied du Prado. « Ma mort ne changera pas
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