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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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s'ils ne payaient pas, ce serait la guerre entre l'Espagne et les États-Unis, jeta Cornfield.
     
    – Et une mauvaise guerre, renchérit le major.
     
    – Il n'est pas de bonne guerre, messieurs, observa Charles.
     
    – Si Edward dit « mauvaise guerre », c'est que celle-ci serait engagée pour une mauvaise cause, expliqua Cornfield.
     
    Pensant que l'ingénieur ignorait tout des rapports entre Cuba, colonie espagnole, les États-Unis et les Bahamas, possession britannique, le major Carver résuma la situation.
     
    – Soucieux d'appliquer la doctrine du président James Monroe, qui interdit, depuis 1823, tout empiétement d'une puissance colonisatrice européenne dans les Caraïbes, et aussi les principes de la manifest destiny – formulés en 1845 par un journaliste 1 qui croit les Américains élus par la Providence pour dispenser civilisation et démocratie chez leurs voisins –, les gens de Washington sont en coquetterie hargneuse avec Espagnols et Cubains.
     
    – Coquetterie devenue méfiance, car, depuis la fin de la traite des Noirs, acceptée par toutes les nations européennes en 1817, et l'abolition de l'esclavage, décidée par la Grande-Bretagne en 1833, effective dans l'archipel depuis juillet 34 – décision qui n'engage pas les Espagnols –, les planteurs du sud des États-Unis ne rêvent que voir Cuba annexée par l'Union afin de compter un État esclavagiste de plus. Le président Franklin Pierce, qui ne brille pas par l'intelligence, veut se concilier les électeurs sudistes et admet leur point de vue. N'a-t-il pas fait adopter la loi Kansas-Nebraska, qui rend caduc le sage compromis du Missouri, autrefois voulu par Henry Clay et qui, une fois pour toutes, fixait une limite territoriale à l'esclavage ? pesta lord Simon.
     
    – Il faut savoir que les États américains situés au-delà des 36 degrés 30 minutes de latitude nord sont, depuis 1820, des États où l'esclavage est prohibé. Or voilà qu'on coupe le nouveau territoire du Nebraska en deux et que l'on fait de sa partie sud, le Kansas, à l'ouest du Missouri, un État esclavagiste, bien qu'il soit situé au-delà des 36 degrés 30 minutes ! C'est une dangereuse initiative qui fait plaisir non seulement aux planteurs du Sud, mais aussi aux Espagnols et aux Cubains. Car Cuba, mon cher Charles, est aujourd'hui une réserve d'esclaves, un fournisseur des États cotonniers du sud des États-Unis. D'où les mauvaises relations entre Cuba, c'est-à-dire l'Espagne, et les États-Unis. Surtout depuis que plusieurs États américains du Nord ont promulgué des lois en faveur des esclaves fugitifs, expliqua le major.
     
    Tout à sa contrariété, Cornfield reprit la parole.
     
    – Les négriers débarquent sur les côtes de Cuba, régulièrement et plus ou moins clandestinement, des cargaisons de bozales 2 , jeunes nègres enlevés depuis peu à leur pays d'Afrique. Les Africains sont de meilleurs travailleurs entre seize et trente-cinq ans, mais leur durée de vie aux champs ne dépassant pas une vingtaine d'années, il faut renouveler cette population servile. Les Cubains encouragent donc les esclaves à faire des enfants et importent pour cela des femmes du Brésil.
     
    Comme Charles Desteyrac donnait l'impression à ses interlocuteurs de découvrir une situation jusque-là insoupçonnée, Edward Carver poursuivit.
     
    – Depuis 1835, il a été décidé, par accord entre Britanniques et Espagnols, que tous les nègres entrés à Cuba après 1820 et tous ceux capturés à bord des navires négriers seraient libérés et mis à la disposition du gouvernement du bateau arraisonneur. Pour régler le sort de ces gens, on a créé à La Havane une superintendance des Africains libérés, placée sous l'autorité du consul de Grande-Bretagne. Ce service est dirigé par deux Anglais, Robert Madden et David Turnbull 3 . Mais l'arrivée clandestine de nègres se poursuit, en dépit de la vigilance des croiseurs anglais et français au long des côtes d'Afrique et des protestations des consuls britanniques. Ainsi, l'an dernier, en juin, le Lady Suffolk a débarqué des nègres entre Mariel et Bahia. Le commandant Eugenio Viñas, négrier connu, qui fait de fréquentes livraisons, a bénéficié de l'indulgence – pour ne pas dire de la complicité – des autorités cubaines. En juillet, la goélette américaine Jasper a débarqué d'autres bozales dans la région de Pinar del Río, sur la côte sud de Cuba.

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