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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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la destinée de Cuba », cria-t-il en allant au gibet. C'est depuis cette attaque que des planteurs cubains, blancs ou créoles, souhaitent une annexion de l'île par les États-Unis, avec le soutien du Sud esclavagiste, rappela Carver.
     
    – Déjà, en 1823, John Quincy Adams, alors secrétaire d'État et futur président de l'Union, avait émis l'opinion que l'annexion de l'île de Cuba – « visible de nos plages », disait-il en forçant un peu l'acuité de son regard – « deviendrait bientôt indispensable aux intérêts politiques et commerciaux de l'Union ». En 1848, James K. Polk, onzième président, avait, lui, suggéré l'achat de Cuba pour un million de dollars. C'est ce qu'a coûté la conquête du Nouveau-Mexique et de la haute Californie, ironisa Cornfield.
     
    – Le ministre des Affaires étrangères d'Espagne fit répondre à Polk que l'île n'était pas à vendre et qu'il « préférerait voir Cuba disparaître sous les eaux plutôt que la céder à quiconque », compléta le major.
     
    – Les Espagnols, et c'est à leur honneur dans une affaire où cette vertu est rare, ne sont pas un peuple de boutiquiers. Ajoutons que les nègres, qu'ils soient libres ou esclaves, souhaitent eux aussi une annexion, mais sous la houlette des États américains du Nord, ce qui leur apporterait, croient-ils, la liberté, conclut lord Simon.
     
    – Mais n'avez-vous pas une plantation de canne à sucre à Cuba ? demanda Charles, un tantinet perfide, s'adressant au lord.
     
    L'ingénieur, grâce à lady Lamia, n'ignorait rien des possessions de Simon Leonard, membre de ce que sa sœur nommait en espagnol la plantocracia cubana , la plantocratie cubaine.
     
    Cornfield n'éluda pas la question.
     
    – Certes, j'exploite la canne à sucre de Cuba, mais j'ai depuis longtemps affranchi les trois cents esclaves achetés il y a dix ans avec ma plantation de Limonar. Mes nègres sont libres, reçoivent des gages, ne travaillent plus que douze heures par jour, ont un médecin et un lazaret à leur disposition quand ils sont malades, et bénéficient d'un jour de repos tous les dix jours, en plus du dimanche. Cela me vaut d'ailleurs la vindicte des planteurs de la région de Matanzas.
     
    – De Julián Zulueta notamment, le plus grand négrier de l'île ! accusa Carver.
     
    – Oui, ce Basque immensément riche est propriétaire de quatre plantations de canne et d'autant de sucreries qui produisent, par an, plus de huit mille tonnes de sucre. Il possède un bureau à Londres, où il trouve, hélas, des appuis politiques, ce qui lui permet de faire la pluie et le beau temps dans l'île. Il importe des nègres malgré la loi pénale de 1848, occupe deux mille cinq cents esclaves et fait le commerce de beaucoup d'autres. Il trafique en toute impunité, avec la complicité passive des autorités, de la police et même de l'armée. Il a corrompu tous les fonctionnaires influents, ajouta Cornfield, fort agacé.
     
    Le major, qui ne l'était pas moins, compléta le tableau.
     
    – Sachez, mon ami, que les gouverneurs espagnols envoyés à La Havane viennent dans la colonie pour faire rapidement fortune. Ils perçoivent des commissions sur la traite clandestine des nègres et rançonnent les corrompus en les menaçant de poursuites.
     
    – Mon régisseur et mes contremaîtres sont souvent insultés et menacés par les planteurs, qu'ils soient espagnols, créoles ou cubains, maugréa le lord.
     
    – Tous les Cubains, blancs et créoles, sont esclavagistes, renchérit Carver.
     
    – Il faut dire que l'esclavage fait partie du système économique de l'île. On ne peut se passer des nègres dans les plantations de canne, de café, de tabac. Ce sont les seuls qui résistent aux travaux des champs sous ce climat. Tous les propriétaires d'esclaves, riches ou modestes, désirent, comme les planteurs du sud des États-Unis, l'annexion pure et simple de Cuba par le gouvernement de Washington pour continuer à faire travailler les esclaves au fouet, sans les payer, comme ils l'ont toujours fait depuis l'arrivée de Colomb, compléta lord Simon.
     
    – La meilleure solution serait que Cuba se donnât à l'Angleterre, ce qui garantirait le respect de l'abolition et ferait des nègres – indispensables – des travailleurs libres. Mais la France, comme d'autres États européens, ne veut pas d'une Angleterre trop puissante dans cette région, et préfère que Cuba appartienne à la faible

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