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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Espagne, fit Carver.
     
    – Mais, je croyais avoir entendu lady Lamia dire que vous étiez, comme elle, favorable à une intervention des États-Unis pour mettre fin à la domination espagnole sur Cuba ? s'étonna Charles.
     
    – Je ne suis pas souvent du même avis que Lamia, vous le savez, mais, en ce qui concerne Cuba, nous partageons les mêmes vues, au contraire de mon neveu Malcolm qui croit, comme ma fille Ottilia, à une révolution populaire conduite par des Cubains qui prendraient le pouvoir à La Havane, libéreraient tous les nègres et feraient de l'île un État indépendant. C'est une aimable utopie et je me contente de souhaiter, comme Edward et tous les gens sensés, que Cuba cesse d'être une colonie exploitable et corvéable à merci par une nation européenne, et devienne tout simplement un nouvel État américain sans esclaves. Car, voyez-vous, Cuba est voisine de notre archipel, qui fut autrefois possession espagnole, ne l'oubliez pas. Si, demain, la marine et les huit mille soldats espagnols casernés à La Havane recevaient d'Isabelle II l'ordre de nous envahir, qui nous défendrait ? Notre sort serait réglé avant même que la flotte anglaise la plus proche, celle de la Jamaïque, ne vienne à notre secours, expliqua Cornfield.
     
    La voix de Malcolm Murray se mêla soudain au débat. Apparaissant sur la galerie en claudiquant, il avait entendu la fin de l'exposé de son oncle.
     
    – Cuba doit devenir un pays indépendant, comme Haïti ! À Cuba comme ailleurs ne devraient vivre et travailler que des hommes libres, qu'ils soient blancs, noirs… ou jaunes, puisque les Espagnols importent maintenant des Chinois pour pallier le manque de débardeurs et de cultivateurs ! intervint l'architecte.
     
    – Nous pouvons tout de même espérer que le gouvernement de Madrid fasse preuve de sagesse, condamne les procédés du capitaine général de Cuba, libère le Black Warrior et paie tout ou partie du préjudice causé à l'armateur américain, dit Carver, désireux de conclure pour libérer Desteyrac et empêcher une nouvelle discussion des grands principes entre Cornfield et son neveu.
     

    Au cours de la journée, alors qu'il dirigeait le travail des terrassiers, trop lents à son gré et toujours occupés à creuser le roc corallien pour assurer les futures culées du pont, Charles étaya par la pensée son opinion sur la personnalité complexe de Cornfield. Cet autocrate insulaire, au contraire de beaucoup de ses semblables, n'était pas insensible au sort des Noirs. Il faisait preuve d'un certain sens de la justice, et même de sentiments généreux à leur endroit. Sa rudesse naturelle, son autoritarisme atavique, son souci de maintenir et, si possible, développer un empire et une fortune déjà considérables, ne l'empêchaient pas, comme son père et son grand-père, de traiter humainement les Noirs, enlevés de vive force à leur Afrique natale pour travailler dans les plantations de canne à sucre ou de coton.
     
    Soledad accueillait toujours les esclaves qui parvenaient, par des moyens de fortune et à leurs risques et périls, à quitter Cuba ou les États cotonniers du sud de l'Union. En novembre 1841, lord Simon Cornfield avait déjà reçu des Noirs qui, après s'être mutinés, avaient obligé le capitaine du brick Creole , qui les transportait de la Virginie à New Orleans, à faire escale à Nassau, où ils avaient été libérés.
     
    Des centaines d'autres esclaves fugitifs avaient suivi ces pionniers. On les rencontrait sur toutes les îles de l'archipel, parfois sur des îlots déserts où ils subsistaient tant bien que mal, mais libres. Les plus chanceux de ces rescapés trouvaient à s'employer sur les îles habitées, aux conditions prévues par les autorités de Nassau. Des contrats, renouvelables chaque année, leur assuraient un salaire, une journée de travail limitée à dix heures, le repos du samedi et du dimanche. Les moins bien lotis, en attente d'un éventuel emploi, vivotaient en cultivant, sur des terres vacantes appartenant à la couronne britannique, du manioc et des pois indiens, en pêchant poissons et crustacés, les fruits – bananes, noix de cajou, papayes, mangues, corossols – leur étant offerts par la généreuse nature intertropicale.
     
    À Soledad, Cornfield, seul maître et unique propriétaire, attribuait quelques arpents de son vaste domaine aux esclaves qui débarquaient avec femme et enfants. Il y ajoutait des

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