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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Noirs et ceux qui les hébergeaient, le gouverneur avait rappelé aux visiteurs que l'esclavage n'avait plus cours depuis 1834 dans l'archipel. Il avait éconduit les quémandeurs avec courtoisie mais fermeté, les avertissant que la police pourrait intervenir s'ils créaient du désordre dans les Out Islands. Les Américains n'avaient pas caché leur intention de tenter une démarche auprès de l'homme le plus influent de l'archipel, que l'on connaissait de Charleston à New Orleans sous le nom de lord des Bahamas. Ils s'étaient en revanche abstenus de manifester leur intention d'employer la force pour reprendre ce qu'ils appelaient leurs biens. Sur les quais de Nassau, tous avaient cependant pu constater que les deux bricks américains ne transportaient pas que de paisibles passagers venus goûter le charme des îles.
     
    Dès que la nouvelle fut connue à Cornfield Manor, Simon Leonard décréta la mobilisation de tous les hommes capables de porter une arme. Charles Desteyrac découvrit que cette mesure était depuis longtemps prévue : en deux heures, l'île fut sur le pied de guerre.
     
    Le commandant Lewis Colson rassembla tous les marins, groupés en sections, sous les ordres des officiers de marine comme Tilloy, Rodney et l'enseigne Hocker. Le pasteur Russell et le docteur Kermor conduisirent devant Cornfield Manor une véritable petite armée composée d'indigènes. Certains Arawak portaient des arcs et des carquois emplis de flèches ; des Taino, encadrant leur cacique coiffé du bonnet d'ourson autrefois offert par les Life Guards, brandissaient des javelots de coccoloba ou bois de fer ; d'habiles chasseurs d'oiseaux montraient leurs frondes ; ouvriers et cultivateurs noirs brandissaient des faux, des serpes et même des pioches. Quand plus de deux cents hommes furent réunis, tandis que femmes et enfants, plus curieux qu'inquiets, arrivaient par les chemins en bandes babillardes, lord Simon Leonard Cornfield, s'improvisant chef de guerre, vint avec une évidente satisfaction passer ses troupes en revue. Son ordre du jour, clamé au moyen d'un porte-voix de marine, fut simple et clair.
     
    – Des citoyens américains venus des Carolines, de Louisiane, de Virginie et d'Alabama vont se présenter pour reprendre des nègres qui, ayant fui leurs plantations et l'esclavage, sont venus chez nous jouir d'une juste liberté. Nous aurons tous à cœur d'empêcher cette capture. J'essaierai d'abord de convaincre ces gens, dont on me dit qu'ils sont armés et très en colère, de renoncer à leurs prétentions. Ensuite, s'il le faut, nous nous opposerons à eux avec vigueur et, au besoin, les armes à la main. Mais nous n'en ferons pas usage les premiers : ils devront prendre devant tous la responsabilité de leurs actes. Tenez-vous prêts à répondre au premier appel, car on ne sait quand et où nos visiteurs se présenteront, conclut Cornfield en saluant d'un grand coup de chapeau – ce qui lui valut une chaleureuse ovation de la part de cette troupe hétérogène mais déterminée.
     
    Des guetteurs furent aussitôt envoyés sur les points hauts des côtes, tandis que les mobilisés retournaient à leurs affaires en commentant avec volubilité l'événement.
     
    – Les planteurs se présenteront certainement au port occidental, et nos marins suffiront sans doute à les contenir, encore qu'il sera bon de leur montrer que toute la population de Soledad est derrière son seigneur. Mais je ne crois guère à l'efficacité de l'appel à la raison que veut leur adresser lord Simon, confia aussitôt Carver à Charles.
     
    Ce soir-là, au Loyalists Club, ce fut une joyeuse veillée d'armes. Le Français fut surpris de constater que lord Simon avait déjà fait distribuer aux membres du club des fusils Sharps pouvant tirer à huit cents mètres, à la cadence de neuf coups à la minute, et des revolvers Colt ou Remington. Charles reçut d'Edward Carver un Colt Navy, arme dont il avait usé lors de son duel avec Murray.
     
    – Je crois me rappeler que vous savez vous en servir, ironisa le major en confiant revolver et munitions à l'ingénieur.
     
    – J'ose espérer que je n'aurai à abattre que des cannes, dit Desteyrac avec un clin d'œil à Murray, lequel, refusant toute arme à feu, s'était présenté l'épée au côté.
     
    – La lame aristocratique est à noble cause ce qu'est la révérence devant une jolie femme. J'aurai grand plaisir à percer une ou deux bedaines esclavagistes !

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