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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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lança l'architecte en riant.
     
    Il fallut patienter une dizaine de jours avant que des pêcheurs venus de l'intérieur de l'archipel n'annoncent, un soir de la fin juin 1854, que les bricks américains débouquaient entre Cat Island et Eleuthera. Aussitôt, Lewis Colson mit le Centaur et l' Apollo sous voiles pour aller à la rencontre des étrangers. Le lendemain matin, les quatre bâtiments, les bahamiens escortant ceux des visiteurs, se présentèrent devant le port occidental. Tandis que les deux navires américains mouillaient dans la baie, les bateaux de Cornfield regagnaient le port.
     
    Le commandant Colson était porteur d'un message des planteurs pour lord Simon, venu à cheval aux nouvelles.
     
    – Ces messieurs vont mettre des chaloupes à la mer ; ils vous demandent de rassembler sur l'appontement les nègres dont les noms sont inscrits sur cette liste et qui sont, disent-ils, leur propriété. Ils les embarqueront et prendront aussitôt le large sans faire plus d'histoires, transmit l'officier en remettant une lettre au lord.
     
    La missive confirmait en termes catégoriques la demande verbale et portait les signatures de trois sénateurs et d'une douzaine de planteurs, dont un Cornfield de Charleston.
     
    – Envoyez un quartier-maître – oui, un simple quartier-maître ! – dire à ces gens de prendre le large immédiatement. Qu'il précise que Soledad est territoire britannique, où aucun homme, quelle que soit sa race, n'est propriété d'un autre, quelle que soit sa race ! ordonna lord Simon. Si mon cousin Bertie III Cornfield est à bord et s'il veut me visiter en tant que parent, et non comme planteur en quête d'esclaves, il sera le bienvenu.
     
    Aussitôt, une barque à deux rameurs emporta le messager vers les bateaux américains, tandis que les marins, dissimulés derrière les entrepôts, chargeaient leurs armes et que, dans le vallon voisin, les indigènes se tenaient accroupis derrière les buissons d'hibiscus et les casuarinas en fleur, prêts à intervenir sur ordre de Carver et du docteur Kermor.
     
    L'attente ne fut pas longue. La barque du messager de lord Simon était à peine de retour que quatre chaloupes glissaient sur les flancs des bricks et que s'y entassaient des hommes armés, accompagnés de chiens qu'on savait spécialement dressés à rattraper les esclaves en fuite.
     
    Charles, entre Tilloy et Rodney, jouissait intensément du moment. L'intrigue, enfin, se corsait, offrait un semblant de risque, prenait tout son fumet romanesque. Elle promettait au moins un affrontement exemplaire entre qui défendait la dignité humaine et qui la méprisait, une sorte de duel entre le Bien et le Mal, auquel il avait la chance inouïe de participer.
     
    Dans l'attente des événements, Charles admira la prestance de lord Simon. Cambré sur sa selle, serré dans un habit noir strict, botté de cuir vernissé, cravaté et ganté de gris perle, coiffé d'un haut-de-forme du même ton, Cornfield suivait d'un regard impassible l'approche des grandes barques américaines. L'alezan brûlé qu'il montait, rassemblé, figé, aux aplombs parfaits, ne faisait qu'un avec le cavalier. Seul sur le quai désert, majestueux, hiératique, ébauche de centaure, le groupe rappela à Desteyrac la statue équestre du condottiere Bartolomeo Colleoni par le Verrocchio, dressée sur le campo dei Ss Giovanni e Paolo, à Venise. Le soleil au zénith, projecteur cosmique, baignait d'une lumière crue, quasi insoutenable, la scène vide où allait peut-être se jouer un drame, voire une tragédie. Le sang lui battant les tempes, Charles eut soudain conscience de se trouver au cœur même de l'aventure.
     
    La consigne donnée par lord Simon était d'attendre l'accostage des chaloupes sans se montrer. Avant que les Sudistes ne débarquent, sur un coup de sifflet de Colson, les marins se précipiteraient sur les arrivants, saisiraient leurs fusils et ne les laisseraient mettre pied à terre qu'une fois désarmés. Dans le même temps, les archers arawak et les porteurs de javelots ou de frondes déferleraient sur le port en poussant leurs cris de guerre.
     
    Ceux qui en auraient douté eurent l'occasion de constater que le cinquième baronet Cornfield ne manquait ni de courage ni de panache pour opposer aux esclavagistes du sud cotonnier des États-Unis l'intransigeance sacrée d'un champion de la liberté.
     
    À l'épreuve, la mise en scène imaginée par Cornfield et Carver se révéla

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