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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Phoenix file ses huit nœuds et nous entrerons demain matin dans le canal Saint George. En attendant, allons prendre le breakfast, proposa, jovial, l'officier.
     
    Une bonne odeur de lard frit et d'œufs brouillés flottait dans la salle à manger et l'ingénieur fit honneur au premier repas, servi par un maître d'hôtel en veste blanche.
     
    Sitôt la dernière bouchée avalée, le lieutenant regagna la dunette et Desteyrac se rendit dans sa chambre pour parfaire sa toilette, car tout négligé semblait proscrit à bord. Puis il retourna sur le pont, jouir du plaisir très neuf de naviguer sur un beau navire. Il se promit de capitaliser ces premières impressions pour les revivre plus tard, quand viendraient les jours les plus monotones de la vie. Les voiles ballonnées par la brise, l'étrave déchirant l'eau, les ourlets d'écume léchant les flancs du bateau, le léger roulis, le grincement des poulies, les haubans devenus harpes éoliennes : tout concourait à produire en lui une sorte de griserie. Le Français observait les rives de l'estuaire quand Malcolm Cuthbert Murray approcha, vêtu d'une épaisse pelisse à col d'astrakan et d'une curieuse toque à visière de cuir.
     
    – Eh bien, nous voilà en route pour les West Indies, mon cher. À partir de maintenant, toutes les règles de la vie terrienne sont abolies : nous allons vivre sous les lois de la mer. Ainsi, quel que soit le mauvais temps, il est interdit de prononcer le mot tempête, honni des marins. Nous devons aussi éliminer de notre vocabulaire le mot corde. Sur un trois-mâts, on ne compte que cordages, filins, ralingues, bitords, aussières et autres choses en chanvre, dont j'ai oublié le nom. Bref, souvenez-vous qu'il n'existe à bord qu'une seule corde, celle de la cloche, dont le tintement annonce les changements de quart et l'heure des repas ! dit-il, un tantinet moqueur.
     
    Le vocabulaire maritime lui paraissait un jargon simplet. Le jeune homme s'exprimait en bon français, teinté d'un léger accent, et Charles, y voyant une attention, renonça à l'anglais.
     
    – J'apprécie cette leçon, monsieur, car c'est la première fois que je navigue. J'ignore tout de la terminologie maritime. Mais, vous-même, êtes-vous marin ?
     
    – On vous dira que tous les Anglais le sont de naissance, mais ce n'est pas vrai. Tout ce que je sais de la marine, je l'ai appris sur le yacht de ma mère, avec lequel, chaque année, nous allons de Londres à Venise. Vous trouverez à bord du Phoenix de meilleurs professeurs que moi, dit Murray qui, manifestement, voulait se montrer aimable.
     
    – Ainsi, vous êtes, comme moi, attendu à Soledad. Des travaux d'architecture, sans doute ? demanda Charles pour relancer la conversation.
     
    – Non, monsieur… au fait, monsieur ?
     
    – Charles Ambroise Desteyrac, rappela l'ingénieur.
     
    – Eh bien non, monsieur Desteyrac, moi, je ne suis pas attendu par lord Simon Leonard Cornfield, qui est mon oncle à la mode de Bretagne, comme disent les Français. Je crains même que ma présence ne soit pas souhaitée. Car, voyez-vous, autant que vous l'appreniez par ma bouche plutôt que par d'autres, je suis envoyé aux Bahamas en pénitence. Oui, monsieur, exilé pour un temps par mon père. Il a payé quelques dettes criardes à condition que je disparaisse de Londres un certain temps. Mais il n'est pas dit que j'irai m'enterrer sur cette île peuplée de sauvages !
     
    Murray, courroucé, ponctua sa déclaration d'un coup de poing rageur sur la lisse.
     
    – Un oncle, même à la mode de Grande-Bretagne, ne peut mal accueillir son neveu, risqua Charles avec un sourire.
     
    – Je goûte votre esprit, monsieur, mais vous ne connaissez pas encore le vieux Cornfield. Il se prend pour le vice-roi des îles et s'inspire, pour gouverner sous les tropiques, du fameux refrain de James Thomson : Rule, Britannia ! Il a même tenté d'introduire sur son caillou des renards, afin de pratiquer le fox hunting 3 , qui est, comme vous savez, notre sport favori.
     
    Un peu décontenancé, Charles Desteyrac crut bon de préciser qu'il avait été engagé par le major Carver pour construire un pont entre l'île principale, propriété de lord Simon, et un îlot voisin.
     
    – Je vous souhaite bien du plaisir, monsieur. Je crois savoir que l'îlot en question, Buena Vista, est habité par la sœur de Cornfield. Les deux se détestent. Au contraire du lord, cette femme est une adepte de la vie

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