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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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son rôle. Certains s'élevaient en chantant avant de s'aligner, tels des danseurs de corde, sur les marchepieds des vergues. Curieux ballet aérien que celui de ces hommes, insensibles au vertige, cramponnés aux barres des mâts, effectuant avec ensemble les mêmes gestes, courts et précis, pour dénouer les garcettes de ris et laisser se dérouler, au commandement du bossman , ou maître d'équipage, des pans de toile. Déjà, la voilure offrait au vent l'appui attendu, et la brise consentante exerçait l'exacte poussée qui accélérait le déplacement du bateau. Ce rituel maritime, ignoré de ceux qui vivent loin des ports, préludait aux accordailles entre le navire et la mer. Tandis que le Phoenix filait avec assurance vers la porte du bassin, le major Carver vint s'accouder près de Charles.
     
    – Un appareillage est toujours une opération délicate, difficile d'exécution.
     
    – J'ai le sentiment d'assister à un numéro de funambules, dit Charles, désignant les marins dans la mâture.
     
    – Avec M. Colson, le départ est toujours rapide et déterminé. Notre commandant possède à fond la science de l'appareillage. Le sûr instinct des navigateurs lui fait saisir opportunément une risée, l'aubaine d'un courant, une flânerie de la marée. Tout se conjugue pour lui inspirer la meilleure manœuvre, au meilleur moment. Car, monsieur, il y a plusieurs manières de mettre un navire sous voiles. Je dois reconnaître que celle de Colson comporte une certaine coquetterie, dit le major avec un sourire.
     
    – Et quelle maîtrise ! On se croirait à l'opéra, dit Charles.
     
    – Tel un chorégraphe, Colson exige en effet une parfaite harmonie entre ses ordres et les mouvements collectifs et enchaînés des hommes, qui, comme vous le voyez, marchent au sifflet et au porte-voix. Bien que nos marins soient des coureurs de mer confirmés, tous, du calfat au gabier, du timonier à l'arrimeur, en passant par le charpentier, le voilier et le coq, sont soumis à de fréquents exercices.
     
    – D'où cette assurance et cette cohésion de ceux que je vois s'activer, là-haut sur les vergues, au risque de tomber, dit Charles, admiratif.
     
    – Risque limité, sauf par gros temps. Et puis, dans les vergues, on a coutume de dire, quand on largue les voiles : « Une main pour le bateau, une main pour le matelot. » Ce n'est qu'en cas d'extrême urgence, quand le commandant ordonne : « Larguez en bande ! », que les matelots se servent de leurs deux mains pour filer la toile sans précautions.
     
    Charles eût aimé poser d'autres questions sur les manœuvres qui se déroulaient sous ses yeux, mais le major s'esquiva.
     
    – Je dois vous quitter pour m'enquérir de la situation de nos passagères. Car nous avons deux dames à bord, monsieur Desteyrac, et je réponds de leur bien-être et de leur tranquillité, dit le major.
     
    – J'ai aussi vu embarquer, hier soir, deux grands gaillards… sans doute les retardataires de qui vous nous aviez parlé à table, monsieur.
     
    – Ah, oui. Ce sont les puisatiers engagés par lord Simon. Ils savent, dit-on, creuser des puits pour trouver l'eau douce. Nous en manquons parfois à Soledad, dit Carver.
     
    Il s'éloigna aussitôt vers l'arrière, franchit un écran de bois qui, au-delà des logements des officiers, barrait le pont, entre le bordage et le rouf. Nommée carrosse par les matelots, cette partie du navire abritait les meilleurs appartements : celui de l'armateur, qu'occupait en l'absence de Cornfield le major Carver, et celui destiné aux passagers de marque. Charles comprit qu'on y avait logé les voyageuses dont il avait surpris, en pleine nuit, l'embarquement. Un marin à mine de factionnaire défendait l'accès au gynécée improvisé.
     
    « Ces femmes, pensa-t-il, doivent appartenir à la meilleure société. Peut-être sont-elles des aristocrates que l'étiquette maritime tient éloignées du commun ? »
     
    La voilure étant en partie déployée, le Phoenix franchit l'écluse du grand bassin, traversa le petit bassin, sorte d'antichambre du dock, et s'engagea dans la Mersey, parmi d'autres navires plus modestes et moins rapides en partance pour Boston, Valparaiso, Sydney ou Coromandel. Quelques milles 2 plus loin, l'estuaire de la Mersey débouche dans la baie de Liverpool, qui appartient déjà à la mer d'Irlande. Les procédures de l'appareillage étant terminées, Mark Tilloy vint saluer Charles.
     
    – Le

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