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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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à autant de crainte que d'émotion.
     
    Deux heures plus tard, Charles se dit que ses maîtres de l'École des ponts et chaussées auraient été fiers de leur élève. Avec une précision parfaite, l'extrémité du pont avait glissé sur le chemin de roulage de Buena Vista et, après un bref instant de stupeur, suscité par la réussite espérée de la manœuve, les ouvriers s'étaient mis à clamer leur joie, les uns applaudissant, d'autres frappant les tonneaux avec des bûches, et les marins d'O'Graney poussant des hourras, tels des Cosaques. Sur la rive de Buena Vista, Ounca Lou agitait une écharpe près d'une lady Lamia souriante.
     
    Sima et ses compagnons prirent alors l'initiative de hisser Charles sur leurs épaules et, avant qu'il ait eu le temps de protester, sautant sur les membrures du tablier encore dépourvu de chaussée, lui firent, le premier, franchir le pont et le déposèrent devant Fish Lady.
     
    – Monsieur l'Ingénieur, vous avez gagné, dit-elle simplement avant d'abandonner Charles aux effusions d'Ounca Lou.
     

    Le pont n'était pas pour autant achevé. Au cours des jours qui suivirent, si les curieux furent nombreux, après lord Simon qui reprocha gentiment à Charles de ne pas l'avoir convié au lançage, les ouvriers charpentiers mirent en place sur le tablier d'épaisses planches de bois de gaïac qui constituèrent la chaussée. Les terrassiers scellèrent dans la roche, sur les deux rives, les étriers destinés à maintenir l'ouvrage en place en ménageant, suivant les plans, des espaces de dilatation qui permettraient, sous l'effet de la chaleur, l'allongement comme le retrait des poutres métalliques.
     
    La dernière besogne consista, trois jours plus tard, à fixer, sur les croisillons constituant les garde-fous du pont, des blasons des Cornfield qu'un héraldiste eût énoncés : « D'azur au rocher d'or mouvant d'une mer d'argent et un chef de pourpre chargé de trois épis d'or. » Le dessin et la peinture des armes avaient été confiés par Desteyrac et Carver à Murray. Seuls dans le secret, les trois hommes voulaient que cette ornementation sur chaque flan du pont fût une surprise pour lord Simon. Sitôt mis en place, les blasons furent donc couverts d'un morceau d'étoffe pour les cacher aux regards.
     

    L'inauguration, fixée par Carver au 28 octobre, jour de la Saint-Simon, fut, comme l'avait souhaité le maître de l'île, une cérémonie inoubliable. Dès la veille étaient arrivés à bord du Phoenix et du Centaur , envoyés à Nassau, le représentant du gouverneur royal des Bahamas, ce dernier étant absent de l'archipel, des membres de la General Assembly , l'attorney général, les ministres du Travail, de la Santé et de l'Éducation, les officiers en poste à New Providence, et des fonctionnaires britanniques et bahamiens, ainsi que les musiciens d'une frégate de la Royal Navy stationnée à Nassau.
     
    Venant de Cat Island, d'Eleuthera, des Abacos, de Great Exuma et d'autres îles, des notables, descendants des loyalistes, comme les Rolle, les Adderley, les Burnet et bien d'autres, dont les ancêtres avaient reçu des terres de la Couronne en 1783, avaient fait le déplacement. Leurs bateaux encombraient le port occidental, pavoisé pour les accueillir. Lord Simon avait tenu à associer à l'événement son vieux complice Maoti-Mata, cacique des Taino. Au matin de l'inauguration, le chef indien, seul Arawak ayant fait, grâce au maître de l'île, un séjour en Angleterre, se présenta coiffé du bonnet d'ourson, cadeau des Life Guards, portant en sautoir la médaille commémorative de l'Exposition universelle de 1851 à Londres, offerte par la reine Victoria, et un stick sous le bras, comme un élégant officier de la garde. Il prit place sous le dais frangé, dans la tribune officielle, décorée de drapeaux et de guirlandes, entre le représentant du gouverneur royal des Bahamas et lord Simon Leonard Cornfield, qui arborait le très noble ordre de la Jarretière, dont il était seul titulaire dans l'archipel. Lady Ottilia, chargée par son père de s'occuper des invités, tenait son rôle avec charme, tantôt accaparée par les jeunes officiers de la Navy, tantôt par les épouses des officiels. Charles, très entouré par ceux qui sollicitaient des informations techniques sur la construction du pont et sa résistance aux ouragans, eut tout juste le temps de dire à Ottilia combien elle était ravissante dans sa robe bleu

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