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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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sommeil.
     
    – Soledad est en vue, monsieur, nous y serons dans deux heures, cria l'officier à travers la porte.
     
    Le moment tant attendu fit jaillir Charles hors de son lit. Il se précipita sur le pont et rejoignit Tilloy, accoudé à la lisse.
     
    Longue levée corallienne couverte de verdure, l'île offrait à distance, dans la clarté laiteuse du petit matin, l'aspect d'un vaisseau au mouillage sur un océan bleu d'aquarelliste. Relevé aux pointes, exhaussé au centre par une courte bosse, le profil de ce belvédère des tropiques paraissait, à distance, d'une harmonieuse symétrie.
     
    – Vous m'aviez caché que Soledad avait aussi une montagne, dit Charles Desteyrac à Tilloy.
     
    – Montagne est un bien grand mot. Notre mont de la Chèvre n'a que vingt-cinq pieds de moins que le mont Como, de Cat Island, point culminant de l'archipel avec deux cent six pieds. Vos sommets alpins n'ont pas à redouter la concurrence ! commenta gaiement le lieutenant.
     
    Plus le Phoenix approchait de la terre et plus Charles Ambroise Desteyrac s'ébaubissait devant l'incomparable décor. Cernée de sable rose et de roches crénelées, l'île prenait, par sa végétation, de timides couleurs. Des vagues alanguies léchaient le rivage, ajoutant un feston d'écume aux plages. Frémissantes dans l'alizé, les lances argentées du palmier royal et les touffes pennées des cocotiers dominaient les arceaux tourmentés des palétuviers, la toison flamboyante des poincianas et, sur arbustes et buissons, les croustilles fanées d'une somptueuse palette, reliquats jaunes, roses ou blancs des parures défleuries.
     
    – Nous sommes dans la saison pauvre en fleurs, mais vous verrez, dès le printemps, se développer la prodigieuse vitalité de la nature tropicale, qui triomphe en juin. La juxtaposition syncopée des hibiscus, bougainvillées, cassias, ixoras, frangipaniers, jacarandas, tulipiers, passiflores et autres plantes compose alors une symphonie de couleurs d'une splendeur paradisiaque. Le jardin d'Éden, s'il exista jamais, devait ressembler à notre île au seuil de l'été, dit l'officier, enthousiaste.
     
    Appelé par Colson sur la dunette, Mark Tilloy dut bientôt abandonner Charles à sa contemplation. Sur le gaillard d'avant, les marins de la bordée au repos se pressaient en se congratulant, heureux de retrouver les délices du port. Pour la première fois depuis le départ, les deux puisatiers de Portsmouth venaient d'apparaître parmi les matelots dont ils avaient partagé fort discrètement l'ordinaire. Saisissant l'occasion de satisfaire sa curiosité, Charles les rejoignit et se présenta.
     
    – J'ai appris que nous allons tous trois travailler sur l'île. Donc, autant faire connaissance avant d'y poser le pied, dit le Français avant de se nommer.
     
    Sans empressement ni chaleur, les deux Anglais en firent autant. Le plus robuste, un homme trapu et musculeux, aux traits taillés à la serpe, au regard gris, affligé d'une calvitie précoce, se nommait James Malory. Le second, Samuel Bartley, de constitution plus fragile, portait de longs cheveux bruns, noués sur la nuque en catogan à la manière des anciens gabiers de la marine royale. Son regard reflétait la mélancolie des exilés involontaires.
     
    Après avoir décliné son titre d'ingénieur et défini sa mission, Charles tenta de forcer le dialogue.
     
    – M. Carver m'a dit que vous creusez des puits.
     
    – Comme vous pour construire un pont, nous avons été embauchés par le major Carver pour forer un ou plusieurs puits, afin de procurer plus d'eau douce à cette terre entourée d'eau salée, fit Malory tout en se décidant à sourire.
     
    – Si nous en trouvons suffisamment, peut-être pourrons-nous créer un nouveau système de distribution. Celui qui existe daterait de Christophe Colomb, compléta Bartley, plaisantant à son tour.
     
    Après un échange de considérations sur la beauté du décor, l'étonnante limpidité de l'air et la chaleur soudaine dispensée par un soleil devenu aveuglant, chacun dut se préparer au débarquement, annoncé par les ordres du maître d'équipage et la réduction de la voilure.
     
    – Eh bien, messieurs, rendez-vous en terre ferme. Il est temps que j'aille boucler mon bagage. Nous allons bientôt accoster, dit Desteyrac.
     
    Le Phoenix doublait la pointe nord de l'île. Charles allait s'étonner de ce contournement, mais le major Carver, venu sur le pont, flanqué de Poko,

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