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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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qu'il était : pur persiflage. Comme le major s'éloignait, Desteyrac, bien décidé à se faire respecter de tous et de chacun, le rattrapa.
     
    – Puisque Malcolm Murray doit demeurer à bord, et sans doute y passer la nuit, je resterai avec lui. Ainsi, je pourrai prendre demain mes quartiers sans causer de dérangement à quiconque, décida-t-il, péremptoire.
     
    – À votre guise ! Je vais, de ce pas, prévenir Murray et donner des ordres pour que le service de table soit assuré comme à la mer. Demain matin, une voiture viendra vous prendre, vous et Murray, si Simon ne décide pas de renvoyer sur l'heure son neveu en Angleterre.
     
    Le ton sec disait assez l'irritation de l'homme de confiance de lord Simon Leonard Cornfield.
     
    Avec la même assurance constatée par Charles lors de l'appareillage à Liverpool, le commandant Colson amena son navire, cette fois remorqué depuis l'entrée de la baie par deux grandes chaloupes armées par dix rameurs, contre le quai de bois sur lequel attendaient charrettes et bogheis prêts à conduire passagers et bagages aux résidences insulaires. Des débardeurs indigènes, hommes musculeux et gais, dont la peau saine et lisse déclinait tous les tons, du blanc pur au noir velouté en passant par différentes nuances basanées ou cuivrées, aidaient les matelots du Phoenix au déchargement des caisses et ballots extraits des écoutilles par les palans de charge.
     
    Au cours de ces manœuvres, Charles Desteyrac, peu pressé d'aller subir les prévisibles jérémiades de Murray, vit émerger de la soute, sous le regard attentif des puisatiers de Portsmouth, les coffres chargés à Liverpool. Certaines caisses présentaient des inscriptions qui retinrent l'attention de l'ingénieur. Deux d'entre elles portaient, en lettres noires peintes au pochoir, la mention : « August Siebe and Co. Diving-suit ».
     
    Diving-suit était le nom anglais du scaphandre le plus perfectionné, et August Siebe son fabricant. À l'École des ponts et chaussées, Charles, comme tous ses condisciples, s'était intéressé aux travaux des scaphandriers, de qui on requérait parfois les services lors de l'établissement des piles de pont. Il savait aussi qu'August Siebe, génial inventeur allemand, installé depuis 1819 en Angleterre, avait mis au point, dès 1839, le premier scaphandre qui isolait complètement le plongeur de l'eau grâce à une combinaison caoutchoutée, pourvue d'un casque de cuivre et d'un système respiratoire.
     
    Une autre caisse retint l'attention du Français. Elle annonçait le contenu : Diver's pump , nom anglais de la pompe à air des plongeurs. Il s'agissait d'une autre invention de Siebe, déjà utilisée, comme ses scaphandres, par la Royal Navy, notamment sur les chantiers de Portsmouth, pour ausculter les coques des navires. Desteyrac en savait assez sur le forage des puits pour s'étonner qu'un tel matériel fût en possession de simples puisatiers. Se souvenant du discret embarquement nocturne de Jim Malory et de Sam Bartley, invisibles pendant toute la traversée et qui n'avaient rien de la rusticité gouailleuse des terrassiers, l'ingénieur imagina que la présence de ces hommes et de leurs scaphandres n'était peut-être pas sans rapport avec ces mystères insulaires évoqués à mots couverts par Mark Tilloy. Les lourdes caisses, promptement évacuées sur un chariot, contenaient, pour le novice, un ferment d'aventure tout nouveau et des plus exaltant.
     
    Les amarres assurées, Desteyrac s'accouda à la lisse pour jouir de l'animation du quai. S'il s'était attendu à voir, au bas du chemin-planche, un aristocrate souriant venu accueillir un ingénieur des Ponts et Chaussées, il eût été déçu : lord Simon Leonard Cornfield, seigneur de Soledad et de Buena Vista, ne se dérangeait pas pour un salarié.
     
    Carver, en revanche, était attendu par un petit homme blanc au teint vermillon, rond comme une pomme, serré dans un costume fripé, coiffé d'un panama biscornu, les dents d'une blancheur qui eût rendu jalouse une courtisane parisienne. Le major lui tendit mollement la main. Les deux hommes montèrent aussitôt dans un brett laqué vert, élégant petit landau à deux places sous capote, tiré par un seul cheval et drivé par un cocher noir. La voiture s'éloigna tandis que Poko faisait l'inventaire des bagages de son maître, en cours de chargement sur un break.
     
    Cette scène rappela à Charles l'illustration d'un roman

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