Le Pont de Buena Vista
le sikh hiératique, chargé du nécessaire à thé et d'une mallette de cuir, expliqua ce détour :
– À Soledad, nous disposons de deux ports, l'oriental, devant lequel nous venons de passer, qui ouvre au levant sur le grand large, et le port occidental, situé au couchant, face aux îles Cat et Eleuthera, dans une baie protégée des caprices de l'océan. C'est un des rares ports en eaux profondes de l'archipel, le plus sûr, le plus proche de Cornfield Manor. C'est le port d'attache du Phoenix , confia le major.
Tout en parlant, sourcils froncés, il observait l'approche rapide d'une petite barque propulsée par un pagayeur au torse nu et cuivré. Un homme au teint plus clair, vêtu d'une chemise et d'un pantalon blancs, se tenait à l'arrière du bateau. Au moment d'aborder le Phoenix , le métis héla un marin, qui déroula sur le flanc du navire une échelle de corde. Lâchant sa pagaie, le rameur empoigna l'échelle que l'homme vêtu de blanc escalada avec agilité.
– C'est Pibia, l'intendant de Cornfield Manor. J'ose espérer qu'il n'apporte pas de mauvaises nouvelles, dit Carver, inquiet, en allant au-devant de l'homme qui prenait pied sur le pont.
Le major et le visiteur s'entretinrent un instant à voix basse, puis Carver revint à Charles, tandis que le majordome, un grand gaillard au corps puissant, échangeait avec les marins accolades et plaisanteries.
– Rien de grave, j'espère ? demanda Charles dès que le major fut à portée de voix.
– Rien de tragique, mais un contretemps qui me remplit de confusion. Vous devrez passer la nuit prochaine sous mon toit : le bungalow qui vous est destiné n'est pas encore prêt à vous recevoir, révéla le major.
– Rien ne me sera plus agréable, dit Charles.
– Alors, tout est pour le mieux, fit Edward, satisfait.
– J'ai promis à Malcolm Murray de l'aider à quitter le bateau. Je pense que deux hommes seront nécessaires pour le porter jusqu'au quai.
– Ah, en ce qui concerne l'honorable Malcolm Murray, rien ne presse. Il va devoir rester à bord au moins jusqu'à demain. Je dois informer lord Simon de l'arrivée de son neveu avant qu'il se présente au manoir, ne serait-ce que pour éviter un contact orageux. Il faudra ensuite fixer les conditions de son séjour et organiser sa résidence, répondit Carver.
– Mais Malcolm va être fort déçu de ne pas débarquer ! Il m'a fait part de sa hâte à retrouver la terre ferme. Sur ses indications, j'ai préparé son bagage et…
– Mon cher, vous êtes le parfait compagnon du blessé ! interrompit le major.
– Je ne fais que mon devoir, dit Charles, agacé.
Carver émit un soupir las, puis, prenant le Français par le bras, l'entraîna vers l'arrière.
– Certains faits que vous ignorez vont, je le crains, inciter Simon Cornfield à se montrer, avec Malcolm, moins prévenant et attentionné que vous. Déjà, quand je lui aurai remis la lettre que m'a confiée sa belle-sœur pour donner les raisons de l'envoi d'Ottilia à Soledad, et raconté comment sa fille a décidé de nous quitter aux Bermudes, je crains un accès de mauvaise humeur. Quand j'ajouterai qu'on lui envoie aussi Malcolm Murray en pénitence, sa contrariété virera à la colère. Et les colères de Simon sont redoutables. Elles peuvent, comme un ouragan, durer trois, six ou neuf jours ! conclut Carver.
– Je conçois que vous deviez, comme on dit, préparer le terrain. J'ai moi-même une lettre à remettre à lord Simon Leonard Cornfield. Une lettre que m'a confiée lady Ottilia pour, m'a-t-elle dit, expliquer à son père les raisons du séjour qu'elle envisage de faire aux États-Unis avant de rejoindre Soledad, confia Charles.
– Vous pouvez me donner la lettre de lady Ottilia, je la joindrai à celle de sa tante, proposa le major.
– Je me suis engagé, voyez-vous, à remettre moi-même ce message à lord Simon, « en main propre et en l'absence de tout témoin », comme lady Ottilia l'a écrit sur l'enveloppe. Désolé, monsieur, je dois suivre ces instructions, dit Charles avec fermeté.
Le major Carver savait dissimuler ses sentiments. Son flegme tout britannique l'incitait depuis longtemps à ne plus s'étonner des manières des membres de la famille Cornfield.
– Naturellement. Vous devez respecter la volonté d'Ottilia, acquiesça-t-il en inclinant le buste.
Charles prit ce geste pour ce
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