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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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oisif et fortuné, il l'estima capable de nobles sentiments.
     
    Avant d'aller dormir, Charles flâna un moment sur le pont. Une risée agitait mollement la marque des Cornfield, hissée au mât de misaine, sous l'Union Jack ; des insectes virevoltaient autour des lanternes du bord, et le clapotis des vaguelettes contre le flanc du vaisseau ne troublait en rien la sérénité du moment. Au-delà du quai désert, où ne brillait qu'une seule lumière, l'île se découpait, sombre et irréelle, ombre chinoise sur fond de ciel décoloré. Charles goûtait la fraîcheur relative de cette nuit d'hiver, tiède et beaucoup plus claire que celles de Paris. Curieux, il alla consulter le thermomètre du bord, qui marquait 26 degrés centigrades. Rêveur, il savoura longtemps « cette obscure clarté qui tombe des étoiles » : ce n'était donc pas qu'invention poétique de Corneille…
     

    Au matin, Desteyrac, tôt levé comme à son habitude, vit venir sur le chemin, qui, du plateau, descendait en méandres serrés vers le port, le brett du major, suivi d'une carriole. Dès qu'il eut mis pied à terre, Carver s'avança d'un pas vif vers l'échelle de coupée. Avant de s'y engager, il ôta son panama pour saluer Charles, accoudé à la lisse. Le major avait troqué ses vêtements de voyage contre une tenue en rapport avec le climat. Le strict habit de drap bleu à boutons dorés et l'épaisse cravate de soie blanche, que Charles lui connaissait depuis Liverpool, étaient remplacés par un léger costume de coton crème, longue veste cintrée, pantalon à sous-pieds. Les pointes flottantes d'un ruban de velours prune, noué sous le col de chemise, retombaient sur le gilet de piqué blanc. De fines bottines fauve à empeigne de toile complétaient sa tenue.
     
    – Je suis venu moi-même vous chercher. J'aurais aimé vous faire, d'abord, les honneurs de notre île, cher monsieur Desteyrac, mais lord Simon a parfois des impatiences d'enfant gâté. Il m'a demandé de vous conduire, directement et sans plus tarder, à Cornfield Manor. Il vous attend.
     
    – Ne faisons donc pas languir le maître de l'île, ascquiesça Charles d'un ton badin.
     
    Avant d'inviter l'ingénieur à prendre place dans le petit landau, le major lui présenta l'indigène, descendu de la carriole.
     
    – Voici Timbo. Il sera à votre service pendant votre séjour à Soledad. C'est un authentique Arawak, de bonne éducation. Il parle un peu français, ce qui me l'a fait choisir.
     
    Comme les rares descendants des purs Arawak, dont les lointains parents avaient été massacrés, parfois cuits et mangés par leurs ennemis carib, tandis que d'autres étaient réduits à l'esclavage et déportés par les Espagnols dans les mines d'argent de Cuba, Timbo constituait un beau spécimen d'une tribu en voie d'extinction. Athlète court, de musculature harmonieuse, peau ivoirine, traits épais, nez épaté, regard brun et doux, il conservait la distinction et la fierté de ses ancêtres, Indiens d'Amérique du Sud, qui avaient émigré du bassin de l'Orénoque aux Antilles avant de se réfugier dans l'archipel des Bahamas pour fuir les cannibales. Avec un sourire confiant, le Lucayen – les anciens colons appelaient encore ainsi les indigènes, quelle que fût la couleur de leur peau – s'approcha de Charles et tint à prouver sa connaissance de la langue française.
     
    – G'and honneu' pou' Timbo, bien se'vi' Mossu l'Ingénieu', déclara-t-il, inclinant la tête sans obséquiosité exagérée.
     
    – Il va charger vos bagages et les porter au cottage voisin du mien où vous serez logé, avec un peu de retard du fait des travaux, mais assez confortablement, je l'espère, dit Carver.
     
    – Et qu'advient-il de Malcolm Murray ? s'inquiéta Charles.
     
    – Lord Simon doit envoyer son majordome le prendre, lui et ses béquilles. Mais ne perdons pas de temps, dit Carver, invitant Charles à s'installer dans le brett.
     
    Au petit trot, la voiture gravit le chemin zigzagant qui s'élevait à flanc de colline, au milieu d'arbustes inconnus du Français. Tout changea, comme sur un lever de rideau, quand la voiture atteignit le plateau et que Charles, émerveillé, découvrit ce que Tilloy avait nommé le Cornfieldshire. Bien que Carver parût pressé, l'ingénieur lui demanda d'arrêter l'attelage. Il avait sous les yeux une vaste cuvette peu profonde, fraîche et verte, parcourue de chemins tracés au cordeau. Charles situa tout de suite

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