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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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en rien à l'idée que s'en était faite un Parisien débarqué sur une île des tropiques. Lord Simon Leonard portait un costume de lainage léger d'un gris citadin, un gilet de soie ponceau et, nouée sous le col empesé à coins cassés d'une chemise blanche, une cravate de soie gorge-de-pigeon dont une épingle d'or, en forme d'étrier, fixait le nœud. Ses manchettes amidonnées, serrées par des boutons, répliques de l'épingle de cravate, dépassaient les manches de veste de l'exacte longueur autorisée par le défunt Brummell. Conscient d'avoir, par sa seule apparence, donné le ton à son visiteur, Cornfield posa sur Charles un regard d'un bleu délavé, mais insistant. Le visiteur crut y lire plus d'arrogance que d'affabilité.
     
    – Vous voici donc, Monsieur l'Ingénieur, commença Cornfield sans tendre la main.
     
    La constatation n'appelant aucune réponse, Desteyrac ne trouva rien à répondre.
     
    – Je suis heureux de vous accueillir à Soledad, où je souhaite que vous vous plaisiez à travailler pour moi. Il s'agit, comme le major Edward Carver a dû vous le dire, de construire un pont, assez solide pour résister aux tempêtes et aux ouragans, fréquents dans l'archipel. La dernière de ces tornades, qui n'était pas méchante, a emporté l'arche de bois que j'avais fait établir par mes gens pour relier provisoirement Soledad à Buena Vista, l'îlot situé au sud de l'île, où j'ai une résidence. Et cela parce que le pont de fer, bâti il y a deux ans par un architecte américain, stupide bien que de forte réputation, avait été détruit par un précédent ouragan, resté fameux pour sa violence. J'espère que vous ferez mieux que le Yankee. En tout cas, vous en aurez les moyens, financiers et matériels, je m'y engage.
     
    Toujours debout face au lord qui ne l'invitait pas à s'asseoir, Charles confirma qu'il avait bien compris la mission dont on le chargeait, et tira de sa poche la lettre confiée par Ottilia.
     
    – Je dois m'acquitter d'un devoir. Votre fille m'a prié de vous remettre cette lettre, en main propre et en l'absence de tout témoin, commenta-t-il.
     
    – Ma fille ? Vous voulez sans doute dire lady Ottilia, rectifia le lord avec hauteur.
     
    – Lady Ottilia, en effet, concéda Desteyrac, marquant un peu d'impatience en tendant la lettre.
     
    Cornfield sut dès cet instant que ce Parisien, dont les ancêtres avaient peut-être pendu des aristocrates aux candélabres, serait à l'occasion capable d'impertinence.
     
    – Lady Ottilia a toujours aimé le mystère, dit-il plus posément en prenant le pli qu'il empocha sans un mot de remerciement.
     
    Estimant l'entretien terminé, Desteyrac salua et se dirigea vers l'escalier.
     
    – Attendez un peu, que diable ! J'ai donné des ordres pour que soit mise à votre disposition la banglia – ou, si vous préférez, le bungalow – proche de la maison de Carver, avec qui vous serez, bien sûr, en rapport quotidien. C'est lui qui approuvera ou rejettera vos plans, commandera le matériel dont vous aurez besoin, et suivra l'avancement des travaux. Nous nous reverrons lorsque tout sera en train. Quand comptez-vous commencer ?
     
    – Dès que j'aurai vu le site, évalué les risques en fonction de la situation particulière de l'ouvrage, étudié la qualité des appuis possibles pour l'établissement des culées, fait quelques sondages. Ensuite, je pourrai proposer un type de pont et établir les plans préliminaires. Cela peut prendre un mois. J'aurai besoin de peu de personnel avant le lancement des travaux, si travaux il doit y avoir…
     
    – Comment, « si travaux il doit y avoir » ? Travaux il y aura ! Vous êtes là pour jeter un pont sur un goulet de mer. C'est ce que je vous demande, et cela peut et doit se faire ! interrompit Cornfield, glacial.
     
    – Il se peut aussi, monsieur, qu'il me soit impossible de prendre, en tant qu'ingénieur maître d'œuvre, la responsabilité de construire un pont dont je ne pourrais garantir la résistance et la sécurité. Notre art, monsieur, comporte des règles qu'on ne peut transgresser, énonça fermement Charles.
     
    – Arrangez-vous, mon garçon, pour que vos règles s'accordent avec mes volontés. Il ne s'agit pas de lancer un pont sur l'Ohio ou le Mississippi, mais de relier une île à un pâté de rochers, en somme de remplacer ce que la nature a cru bon de détruire lentement au cours des siècles. Demain matin, à six heures, le

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