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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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changer d'avis « cette femelle têtue comme une mule ».
     
    – Son opposition à une liaison de fer, de pierre ou de bois entre Soledad et Buena Vista ne relève pas d'un raisonnement logique, mais d'une répulsion viscérale pour tout ce qui faciliterait les contacts de ses gens – j'allais dire de ses sujets – avec la société qu'elle a reniée. À ses yeux, le pont serait non seulement une réalisation matérielle contraignante, mais aussi et surtout le symbole du rattachement de l'Éden au monde corrompu par la civilisation britannique. Entre Buena Vista et Soledad, mes amis, il y a plus qu'une faille rocheuse, il y a le péché originel ! lança le major, pince-sans-rire.
     
    – Il est certain qu'un pont, que tout le monde pourra emprunter pour passer d'une île à l'autre, sonnera le glas d'une indépendance reconnue et admise, murmura Tilloy.
     
    – On dit que Cornfield, quand il hérita le titre et l'île, ne fut pas mécontent d'abandonner à sa sœur un domaine sauvage séparé du sien, observa Charles.
     
    – C'est exact. Dès son arrivée d'Angleterre, Lamia, à peine sortie de l'adolescence, tenta de convaincre son frère de l'urgente nécessité d'abandonner la conception que leurs parents et grands-parents avaient de la vie coloniale. Pour elle, il fallait rendre les Lucayes aux Lucayens. Lord Simon trouva les réformes proposées inacceptables. Elles auraient non seulement anéanti son autorité, mais surtout marqué une régression pour les indigènes en condamnant d'avance tout apport du progrès. Il y eut palabres, disputes, colères, et Lamia fut exilée sur Buena Vista avec l'autorisation d'y pratiquer le mode de vie qui lui plairait, à condition de ne plus se mêler des affaires de Soledad, expliqua Edward Carver.
     
    – Mais lord Simon n'avait pas imaginé que sa sœur pût un jour faire sécession et se considérer libre de tout lien, au propre comme au figuré, avec le propriétaire de son îlot ! compléta Mark.
     
    – Peut-être sera-t-elle sensible au fait qu'un pont constituerait un facteur de sécurité pour les habitants de Buena Vista. N'est-ce pas le lieu habité le plus exposé aux tempêtes et aux ouragans ? demanda Charles.
     
    – Pour une évacuation rapide de l'îlot, un pont serait en effet fort utile. Buena Vista est une sorte de cap Finisterre, le premier obstacle que rencontrent les vents d'est qui poussent la forte houle vers l'archipel. C'est sur cet îlot que l'on compte toujours le plus de dégâts et de victimes, confirma le major.
     
    Quand les trois hommes se séparèrent, Charles Desteyrac, perplexe, regagna son logis. Sa démarche diplomatique auprès de l'irascible Fish Lady avait-elle une chance d'aboutir ? Quoi qu'elle décidât, il devrait lancer un pont entre l'île et l'îlot, que cet ouvrage fût ou non accepté par l'occupante de Buena Vista. Il s'endormit en pensant que lord Simon serait sans doute contraint de faire acte d'autorité pour imposer l'ouvrage auquel il tenait et dont la réalisation apparaissait maintenant à l'ingénieur, à plus d'un titre, comme une entreprise risquée…
     

    Le lendemain, ayant quitté son bungalow à l'aube, conduisant lui-même son dog-cart, Charles Desteyrac suivit la route de la côte ouest, parcourue avec Tilloy dès les premiers jours de son arrivée. Il se présenta dans le petit port de Southern Creek assez tôt pour voir arriver, monté par un seul homme, un petit voilier bahamien.
     
    C'était un de ces bateaux que construisaient depuis 1785, dans un chantier naval situé à Hope Town, sur l'île d'Abaco, les descendants de la famille de John Albury, un loyaliste arrivé sur l'île dès 1783 avec des douzaines d'autres comme David Aitkin, William Armstrong, André Blanchard, James Brown, John Burnet, Donald Cameron, William Kennedy. Ces fidèles à la couronne d'Angleterre, qui refusaient de devenir américains, avaient reçu chacun de quarante à quatre cents acres de terre offerts par le gouverneur de la colonie britannique. Au dire du lieutenant Tilloy, qui possédait l'un de ces bateaux, ceux des Albury – coque en bois de Madère, pont de teck, garnitures, étriers et étambrais de bronze, allumelles de laiton, voile de coton grossier – restaient, en dépit des progrès de l'architecture navale, les plus sûrs et les mieux adaptés à la navigation dans l'archipel.
     
    Le marin délégué par lady Lamia repéra tout de suite l'étranger debout sur l'appontement.

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