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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'origine espagnole, encore désirable, qui cherchait consolation et surtout une nouvelle position sociale. Charmeuse, peu farouche, ardente au lit comme le sont souvent les femmes du Sud, elle entreprit de faire la conquête de lord Maxence, et y réussit. Nous la ramenâmes à Soledad comme supposée fiancée en attente de mariage. Quand Mary, la veuve d'Alister, mit au monde sa seconde fille, elle la baptisa Charlotte, le prénom qu'avait souhaité le père défunt pour son troisième enfant, si c'était une fille. Cela, bien sûr, par révérence au souvenir du roi martyr Charles I er . Sur notre île, où l'influence espagnole demeure vivace, la nourrice castillane fit de Charlotte une Carlota, ce qui plut à tous sauf à la brune entreprenante, qui se nommait elle aussi Carlota. La dame, qui dès son arrivée à Soledad s'était comportée en future maîtresse des lieux, détestait Mary, en qui elle voyait la mère des héritiers Cornfield. Elle prit ombrage d'entendre appeler l'enfant d'un prénom prétendument usurpé. « Il ne peut y avoir deux Carlota », se répandit-elle, et elle s'en plaignit à lord Maxence.
     
    – Curieux comportement, qui en dit long sur la personnalité de cette femme, hasarda timidement Charles.
     
    – Certes ! Amoureux comme peuvent l'être les vieillards séniles qui croient tenir leur bonne fortune d'un amour sincère et désintéressé, il exigea que l'on changeât aussitôt le prénom de sa petite-fille. Sa maîtresse lui souffla celui de Lamia, assurant qu'il convenait à l'enfant, puisque c'était le nom d'une déesse destinée à semer le bonheur autour d'elle. J'étais le seul à connaître, comme vous, l'allusion mythologique, mais je n'y aurais vu qu'un caprice de la future lady Cornfield si je n'avais appris, entre-temps, qu'elle se livrait aux pratiques magiques de nos plus arriérés Arawak, de qui elle avait su se faire des alliés. Elle croyait à l'influence des sorts, des philtres, des incantations, faisait des offrandes aux zemis qui, comme vous le savez, sont les protecteurs tutélaires des Lucayens 1 . Lord Maxence, que je mis en garde, se moqua de moi, parla de superstition indigne d'un chrétien, et imposa le prénom de Lamia.
     
    – Et qu'est devenue l'intrigante ?
     
    – Après la mort de lord Maxence le 5 mai 1821, le même jour qui vit votre empereur Napoléon I er rendre l'âme à Sainte-Hélène, en plein accord avec Simon Leonard Cornfield, héritier du titre de baronet, qui allait sur ses vingt ans et rentrait d'Angleterre où il avait étudié, nous avons vivement embarqué la dame sur le Centaur pour la reconduire à New Orleans. Après avoir toutefois extrait de ses bagages tout ce qu'elle avait dérobé à son vieil amant, lequel était bien près de l'épouser quand son cœur avait subitement cessé de battre, conclut Carver, ému.
     
    L'arbre généalogique des Cornfield ainsi planté aurait eu de quoi satisfaire la curiosité de Charles Desteyrac si son domestique, fort bavard, n'avait fait allusion à plusieurs reprises « aux épouses » du maître de l'île. Aussi osa-t-il demander à Carver de compléter son information sous le même prétexte déjà avancé de ne pas commettre d'impair lors de ses conversations avec le dernier des Cornfield.
     
    – J'ai cru comprendre que lord Simon est lui-même veuf depuis un certain temps, risqua-t-il.
     
    – Deux fois veuf, mon ami. Et d'épouses fort différentes, dont la seconde fut la mère d'Ottilia. Mais, ici, personne ne fait jamais la moindre allusion à ces mortes, et je vous conseille de vous conformer à notre règle, conclut le major qui, les verres étant vides, fit comprendre que l'entretien était terminé.
     
    Les deux hommes se serrèrent la main et Charles regagna son bungalow. Il ne fut pas surpris d'y trouver, assis sur les marches de la galerie, Timbo qui, la tête dans ses bras croisés, somnolait en attendant le retour de l'ingénieur.
     
    – Pourquoi n'es-tu pas couché ? Il est minuit passé, demanda Charles.
     
    – Jamais avant que le maît'e do'me, dit Timbo.
     
    – Alors, prépare-moi un verre d'eau glacée : j'ai une lettre urgente à écrire. Il faudra trouver, demain matin, quelqu'un pour la porter à lady Lamia Cornfield à Buena Vista, dit l'ingénieur en s'asseyant à sa table de travail.
     
    – À Fish Lady, une lett'e demain ? fit l'Arawak, interloqué.
     
    – Oui. Est-ce une mission difficile ?
     
    – Pe'sonne va

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